Barnabé Brisson est né le 11 octobre 1777 à Lyon. Après avoir fait de solides études au collège de Juilly (Seine-et-Marne), il entra à l’Ecole Polytechnique à la création de celle-ci (1794) : il n’avait alors que 16 ans : il a donc fait partie de la première promotion de l’Ecole Polytechnique. Il fut admis ensuite à L’Ecole des Ponts et Chaussées, en 1898.
A sa sortie de cette école, il fut attaché tout d’abord, en 1800, sous la direction de Joseph Liard, au Canal Monsieur (Canal du Rhône au Rhin), pendant deux années. Ensuite sous la direction de Antoine-Nicolas Gayant, il fut attaché au Canal de Saint-Quentin. Sur l’un et l’autre de ces deux canaux, il s’occupa en particulier des travaux intéressant le bief de partage, « où il déploya les ressources d’un génie actif et fécond ». Sur le canal de Saint-Quentin, il travailla notamment à la réalisation du souterrain de Riqueval.
Barnabé Brisson fut nommé Ingénieur en Chef des Ponts et Chaussées le 19 mai 1808, au cours de sa trentième année. C’est en cette qualité qu’il fut chargé le 1er mars 1809 de la direction du Service des Ponts et Chaussées du Département de l’Escaut, qui faisait alors partie de la France, en résidence à Gand.
On connait la situation de ces territoires situés au dessous du niveau de la mer, menacés par les marées, protégés par des digues puissantes.
B. Brisson, dans l’espace de quatre années, secondé par son ami et collaborateur Dan de la Vauterie, fit réaliser d’immenses travaux de protection des basses terres et la défense des polders de l’Escaut.
Ce fut alors qu’il rédigea les projets du Canal de Bruges à l’Escaut (également appelé Canal de Damme) et du Port maritime de Breskens.
C’est aussi à cette époque qu’il rédigea sa « Notice sur la défense des côtes maritimes de la Hollande », insérée dans le recueil lithographique de l’Ecole Polytechnique.
La fin de l’Empire ramena Barnabé Brisson dans sa patrie, et le 1er août 1814 il fut chargé de la direction du Service des Ponts et Chaussées du Département de la Marne, où il s’attacha à remettre en état le réseau routier que l’invasion avait laissé dans une situation déplorable. A Châlons-sur-Marne, il fit notamment restaurer le pont sur la Marne.
C’est alors, en 1820, que le Directeur général des Ponts et Chaussées, Louis Becquey, appela B. Brisson à Paris, où il fut tout d’abord chargé de mission pour l’étude d’un canal de Paris à Tours et à Nantes. C’est aussi à cette époque que se situent ses études sur le Canal de la Marne au Rhin. Puis B. Brisson fut nommé Professeur du « Cours de Stéréotomie et Construction » à l’Ecole des Ponts et Chaussées, en remplacement de M. Vallot, qui passa au Cours d’Architecture ; il fut ensuite nommé « inspecteur » (sous-directeur ) de cette même école, en 1821.
« L’essai d’un système général de navigation intérieure de la France » de B. Brisson est sans doute antérieur à 1820, dans sa conception générale. Il ne sera publié qu’en 1829 par M. Deleau, ingénieur en Chef des Ponts et Chaussées, successeur de B. Brisson comme professeur à l’Ecole des Ponts et Chaussées. Mais B. Brisson y a sans doute travaillé dans les années qui ont précédé son décès.
Mais le « Rapport au roi sur la navigation intérieure de la France », de Louis Becquey, (1820) est largement inspiré par le travail de Barnabé Brisson.
En 1823, Barnabé Brisson publie une nouvelle édition de la « Géométrie descriptive » de Gaspard Monge ( 1746 – 1818 ), l’un des fondateurs de l’Ecole Polytechnique, en 1794, qui fut l’un des professeurs de B. Brisson, lequel épousera la nièce de Gaspard Monge. A cette édition, B. Brisson ajouta un « Traité des ombres et de la perspective ». En 1818, puis en 1820, B. Brisson avait publié une « Notice biographique » sur G. Monge.
En 1822, B. Brisson est nommé Secrétaire du Conseil général des Ponts et Chaussées. Et en 1824 il fut élevé au grade d’inspecteur divisionnaire ( 28 avril ).
Quelques années plus tard, le 25 septembre 1828, Barnabé Brisson décédait à Nevers, au cours d’un déplacement dans le cadre de ses fonctions : il avait à peine cinquante ans.
Les élèves de l’Ecole des Ponts et Chaussées rendirent un vibrant hommage à leur professeur prématurément disparu :
« Que de leçons savantes et utiles il nous prodiguait dans le Cours de construction ! Parmi tant de travaux importants et variés, il trouvait le temps de s’y adonner comme à une occupation unique et de son choix. Les notes nombreuses qu’il a laissé sur diverses parties de ce Cours, dont il est, on peut le dire, le créateur ; notes qui pour un même sujet se trouvent répétées sous plusieurs formes, prouvent que, malgré la vivacité et l’étendue extraordinaires d’esprit dont il était doué, il regardait le travail comme indispensable pour mûrir les résultats que produisaient ses premières pensées. Exemple important et encourageant pour nous : ce que nous aurions pu regarder comme le fruit né sans peine, de facultés rares et accordées à peu d’êtres privilégiés, devait donc aussi sa perfection à de laborieuses recherches ! Aux questions particulières qui se présentaient, il appliquait à propos, soit la géométrie descriptive, soit l’analyse, dont il savait choisir et varier les formes pour les mouler, pour ainsi dire, sur les contours, sur les procédés divers qu’il voulait décrire et mesurer ! … Combien notre douleur augmente en considérant que c’est pour hâter son voyage pour revenir plus tôt vers nous avec une riche moisson d’observations, qu’il a contracté et aggravé le mal auquel il a succombé » (1)
Deux de ses Rapports sur la Police du roulage et sur les projets présentés pour le Canal maritime de la Seine, ont été imprimés en 1828. Son « Mémoire sur l’art de tracer les canaux à point de partage », a été rédigé en 1801 en collaboration avec son ami Dupuy de Torcy, et présenté à l’Institut. Il a été publié en 1829 en annexe de « l’Essai sur le Système général de navigation intérieure de la France »
Barnabé Brisson était également mathématicien. Il a présenté en 1802, 1805, 1827 et 1828, une série de mémoires sur l’intégration des équations linéaires aux dérivées partielles, et au moment de sa mort, il était sur le point d’être élu membre de l’Académie des Sciences, Section Géométrie, où le décès de Simon Laplace ( 1749 – 1827), venait de laisser une place vacante ( 2 )
Sommaire
Dans son Introduction, Barnabé Brisson constate l’état lamentable de notre réseau routier depuis la suppression des corvées, avant la Révolution. Or l’expansion du commerce et de l’industrie exige le renforcement de nos moyens de communication.
« La navigation seule, écrit-il ainsi vers 1820, en rendant les transports beaucoup plus économiques, permet de fournir des péages dont les produits couvrent les frais d’entretien, et remboursent, en totalité ou en partie, les dépenses de premier établissements »
Après avoir donné quelques indications théoriques sur le choix du point de partage, et la nécessité d’alimenter largement ce bief de partage, l’auteur rend attentif le projeteur de canaux à point de partage, sur la stricte économie des eaux. Si l’on ne maîtrise pas les éclusées, toutes précautions doivent être prises pour réduire les infiltrations, « qui occasionnent souvent des pertes incalculables ».
B. Brisson envisage trois classes de canaux :
– La première classe dans laquelle sont rangés les canaux issus de Paris vers les points les plus importants de nos frontières. Ce sont les grandes artères du royaume, avec un mouillage de 1,60m, équipées d’écluses de 32,50 x 5,20m
– La seconde classe comprend les canaux destinés au débouché des productions des provinces, en liaison avec les canaux de première classe. Mouillage de 1,60m également, mais écluses de 16,50 x 2,60 m. Ainsi, quatre bateaux des canaux de seconde classe, accouplés, pourraient poursuivre de façon avantageuse leur navigation sur les canaux de première classe.
– La troisième classe enfin, serait réservée à des canaux de moindre importance, ayant pour objet une exploitation particulière. B. Brisson pense que, pour ces canaux, les écluses pourraient être remplacées par des plans inclinés garnis de charrières, ou de voies en fonte, la construction d’écluses étant trop dispendieuse. Aucune proposition n’est faite par l’auteur pour les canaux de troisième classe.
Le système de navigation de B. Brisson est donc relativement centralisateur, en ce qui concerne les canaux de première classe. Dans notre examen du projet de Barnabé Brisson, nous nous attacherons essentiellement aux dispositions intéressant l’Est de la France, et l’Alsace en particulier.
Le réseau des canaux en 1820.
Avant d’entreprendre cette analyse, il paraît intéressant de connaître l’état ou la consistance du réseau des canaux au moment où écrit B. Brisson.
On ne peut pas dire que ce réseau soit inexistant. Un certain nombre de canaux sont en service, d’autres sont en voie de réalisation, et seront ainsi compris dans le programme des canaux dont l’achèvement est prévu dans la cadre des lois de 1821/1822.
Il faut ajouter qu’en ces temps-là, le réseau des fleuves et des rivières navigables est plus important que le réseau des canaux, et que la navigation y est aussi plus importante.
Voici donc la liste des principaux canaux en service avant 1820, et celle des canaux en cours de construction à cette date, informations extraites de l’ouvrage de Ernest Grangez, 1855.
Barnabé Brisson envisage un certain nombre de « lignes » au départ de Paris : Paris au Havre ; Paris à la Belgique ; Paris Strasbourg ; Paris Marseille ; Paris à la Loire supérieure ; Paris à Bordeaux ; Paris à La Rochelle ; Paris à Nantes et à Brest. Puis des « lignes transversales » : De Bordeaux et Bayonne à Marseille ; de Marseille à Strasbourg ; de Bordeaux à Bâle et Huningue ; de Huningue à Nantes. Et enfin des cas particuliers comme la navigation sur la Somme, et les canaux du Pas de Calais et du Nord.
Ces « lignes » ne sont pas à proprement parler des canaux indépendants; ce sont généralement des itinéraires, constitués d’une succession de canaux et de rivières ou fleuves navigables, ou de portions de ces voies d’eau. Ce qui participe à l’originalité de la démarche de Barnabé Brisson.
Les communications navigables de 1ère classe
IIIème ligne de Paris à Strasbourg
Cette liaison nous intéresse plus particulièrement. Nous allons reprendre le texte de B. Brisson, pour cette seule et unique fois, de manière à montrer avec quel soin il étudie ses tracés dans le détail, sans rien laisser au hasard, avec toutes les précisions nécessaires pour un report sur une carte, et même établir un profil en long sommaire.
C’est à peu près le tracé du Canal de la Marne au Rhin, entre Vitry-le-François et Strasbourg ( 313 km ), qui a été ouvert à la navigation 25 ans plus tard, en 1853.
De Strasbourg à Paris, le Canal de la Marne au Rhin évite un long détour par le Canal du Rhône au Rhin, le Doubs, la Saône en partie, le Canal de Bourgogne et l’Yonne pour atteindre la Seine, itinéraire suivi en 1836 par Jacob Jung, pour la première liaison par eau Strasbourg – Paris.
A noter que la longueur des écluses avait été portée d’origine à 34,50 m ; elles seront allongées à 38,50 en 1895, tandis que le mouillage d’origine de 1,80 sera progressivement augmenté ( 3 ). Rappelons que le coût total de la construction du Canal de la Marne au Rhin ressort à 75 millions de Frs en 1853.
Bien sûr Barnabé Brisson connaît les études et les projets de ses prédécesseurs, dont le « Mémoire sur la navigation des rivières » par le Maréchal de Vauban (1781) ; les recherches de François de Neufchâteau et notamment son Instruction du 23 frimaire An VII (13 déc. 1798 ) ; le projet de M. Prault St Germain sur ce même tracé ( 1802) … Il n’en parle pas.
On sait que l’ingénieur Charles Casimir Robin de Betting, présentera peu de temps après la rédaction du Mémoire de B. Brisson, en 1823, un projet de « Canal Royal de jonction du Rhin à la Marne de Strasbourg à Paris, passant par Saverne, Nancy, Toul, Pagny, Void, Ligny, Bar-le-Duc et Revigny, joignant la Marne au bas de Vitry-le-Brûlé » ( 4 ). Robin de Betting avait-il con-naissance du Mémoire de B.Brisson, qui ne sera publié, rappelons-le, qu’en 1829 ? On peut en douter.
Les Communications navigables de seconde ordre
Barnabé Brisson présente ses projets de canaux de jonction de seconde classe par « régions », celles-ci étant grosso modo délimitées par les lignes de première classe. On compte ainsi neuf régions, d’inégale importance.
La troisième région, qui correspond à tout l’Est et le Nord-Est de la France, nous intéresse en particulier.
Voici les principaux projets de canaux de jonction proposés par l’auteur, qui précise bien : « Sans doute l’utilité de plusieurs d’entre eux ne se fera sentir que lorsque les pays qu’ils doivent traverser ou réunir auront acquis un plus grand degré de richesse et d’industrie, mais il n’en est pas moins convenable d’en faire mention ici pour se rendre d’avance complète-ment compte de l’ensemble du système »
Ainsi, par exemple, B. Brisson avait envisagé dès 1820 la réalisation du « Canal de Montbéliard à la hte Saô-ne », dont la construction sera commencée après la Guerre de 1870 et la perte de l’Alsace et de la Lorraine, en 1882. Ce canal, 83 km, n’a été construit, en partie, que sur une trentaine de km, versant Canal du Rhône au Rhin. : le canal s’arrête à 3 km de Ronchamp, au début du bief de partage. Les travaux ont été inter-rompus dès 1897 ( 5 )
Si l’on se reporte à la carte jointe au Mémoire de B. Brisson, publié en 1829, on constate que ces projets de canaux de jonction de second ordre, forment un maillage relativement serré, sauf bien sûr dans les régions montagneuses ; ainsi que dans les Départements du Rhin, qui ne sont pas concernés. Malgré les précautions prises par l’auteur pour présenter ses projets, on peut considérer comme utopique cette vision d’une France quasi entièrement quadrillée par des voies navigables.