Quelques peintres paysagistes ont utilisé un « bateau-atelier », à bord duquel, installés avec leur chevalet, ils ont peint les berges de certains fleuves et de certaines rivières, au plus près de la nature, en toute tranquillité.
Voici donc un récit circonstancié des activités de Claude Monet ( 1840 – 1926 ) , dans son bateau-atelier.
Claude Monet est né le 14 novembre 1840 à Paris. Sa famille s’installe au Havre en 1845 ; le jeune Claude y passera son enfance et son adolescence. Il fréquente le collège havrais, développe son goût pour le dessin, et suit les cours de Jacques-François Ochard avec grand intérêt. Ses premiers dessins sont des caricatures de personnages, mais il fait aussi des croquis de bateaux et de paysages. Le peintre Eugène Boudin l’encourage à poursuivre des études artistiques à Paris. Après son service militaire en Algérie ( 1861/1862 ), il commence à étudier les arts et la peinture avec Charles Gleyre à Paris, où il rencontrera Auguste Renoir, Frédéric Bazille, Alfred Sisley …
Il s’installe à Argenteuil en 1872 avec Camille Doncieux ( 1847-1879) qui deviendra son épouse. Edouard Manet, qui avait pris Claude Monet sous sa protection, lui trouva à Argenteuil une maison, dont le précédent locataire avait été Auguste Renoir. Après Vétheuil ( 1878 ), il vient habiter Giverny en 1882, village qu’il ne quittera plus.
Son tableau du port du Havre : « Impression, soleil levant » ( 1872 ) marque l’origine du mouvement des impressionnistes. Il épouse en secondes noces Alice en 1892.
Lors d’un voyage en Angleterre il admire les œuvres de William Turner, qui l’ont fortement influencé. Il peint tout une série de tableaux, une centaine, sur le thème du brouillard de la Tamise.
De son atelier à terre, et de son bateau-atelier, Monet peint la nature « contrôlée ». Sa série des peintures de la Cathédrale de Rouen, une vingtaine de toiles, est restée célèbre, ainsi que la série des grandes toiles des « Nymphéas ».
Claude Monet meurt le 5 décembre 1926 ; il est inhumé dans le chevet de l’église de Giverny.
Claude Monet et son bateau-atelier
C’est en 1873 que Claude Monet se fait aménager son bateau-atelier. Peut-être a-t-il emprunté cette idée à Charles François Daubigny ?
Le critique François Thébault-Sisson rapporte en 1927 les souvenirs de Claude Monet au sujet de l’acquisition de ce bateau :
C’est dans cet atelier ( la maison d’Argenteuil ) d’où je distinguais à quarante ou cinquante pas de distance, tout ce qui se passait sur la Seine, que j’ai exécuté mes premières scènes nautiques d’Argenteuil, jusqu’à l’heure où une vente fructueuse fit tomber dans ma poche, d’un seul coup, assez d’argent pour m’acheter une barque, et y faire établir une cabine en planches, où j’avais assez de place pour installer mon chevalet. Que de belles heures j’ai passées avec Manet sur ce petit bateau ! Il y a fait mon portrait. J’y ai fait celui de sa femme et le sien. Ces beaux moments, avec leurs illusions, leur enthousiasme, leur ferveur, ne devraient jamais finir.
Cette barque n’est pas très importante. Elle comporte une cabine peu spacieuse, un petit pont, et un petit mât. On se représente bien ce bateau-atelier : Edouard Manet a peint Claude et Camille dans l’atelier flottant en 1874 ; Monet a peint lui-même son bateau la même année et puis encore en 1876.
Yvon Taillandier a imaginé une journée de Claude Monet sur son bateau-atelier, vue par un observateur anonyme sur la berge de la Seine ; nous lui laissons la parole (1).
Vêtu d’une blouse et coiffé d’un chapeau en forme de cloche, un homme d’une trentaine d’années, barbu, assez fort, mais plutôt petit, manie les rames. Ce n’est pas un pêcheur qui va poser ses lignes ou ses nasses dans le courant, ni un canotier qui rame par délassement, mais un peintre qui, pour employer le langage du métier, « va sur le motif ». Aujourd’hui puisqu’il a pris sa barque, sans doute a-t-il décidé de peindre la Seine, vue du milieu des flots.
Ce peintre, c’est Claude Monet.
On peut alors voir « l’homme au chapeau en forme de cloche abandonner les avirons, puis déployer un petit meuble sur lequel il pose un rectangle blanc d’environ soixante centimètres de large sur cinquante de haut. Claude Monet ouvre ensuite une boîte, prend dans sa main droite un bâtonnet, et enfile le pouce de sa main gauche dans un trou pratiqué à l’intérieur d’une planchette de contour ovale. A mesure que ces instruments apparaissent, on peut les identifier : le bâtonnet, c’est un pinceau, la planchette, une palette.
La boîte contient des tubes de couleurs. Pour nous ces tubes n’ont rien d’extraordinaire. Pourtant, en 1874, ils ont fait leur apparition relativement récemment. C’est en 1861 seulement qu’on a commencé à les mettre sur le marché. Ils simplifient considérablement le travail du peintre. Pour obtenir une teinte, il n’a plus qu’à ouvrir le tube correspondant, et à presser sur le métal mou. Ils sont plus facilement transportables que toutes les poudres auxquelles il fallait recourir auparavant, et qu’on ne maniait commodément qu’en atelier. On peut ainsi exécuter une peinture à l’huile et l’achever entièrement en plein air, même si le vent souffle …
Claude Monet fixe solidement le meuble pliant, c’est-à-dire son chevalet. La barque de Claude Monet, « l’atelier de Monet » comme certains le nomment, lui convient parfaitement.
Rappelons que c’est au Havre, devant la mer, que Claude Monet a passé toute son enfance et son adolescence. C’est un peintre de la mer, des eaux et du ciel. Claude Monet cherche l’eau partout, la mer, un fleuve, une rivière, un canal un lac, un étang. En 1880, lorsqu’il peint la débâcle des glaces, c’est toujours de l’eau qu’il s’agit ! On l’a surnommé « le Raphaël de l’eau ».
Ainsi pendant des années Claude Monet et son bateau-atelier seront inséparables. De nombreuses toiles remarquables des berges de la Seine y ont été peintes.
On ne sait ce qu’est devenu l’original du bateau-atelier de Claude Monet. Cependant une fidèle réplique de ce bateau-atelier a été réalisée en 1989 par les Chantiers du Morbihan, pour le compte de la Ville d’Argenteuil, en vue de la préparation des festivités organisées dans le cadre du cent cinquantième anniversaire de la naissance de Claude Monet, en 1990. Longtemps relégué dans un hangar municipal, ce double du bateau-atelier de Claude Monet a été remis en état, à l’occasion des manifestations initiées par la Ville d’Argenteuil en 2010, à l’occasion du cent soixante dixième anniversaire de la naissance du peintre. Il a été exposé dans l’agora de l’Hôtel de Ville d’Argenteuil jusqu’au 18 octobre 2010. Cette réplique du bateau-atelier de Claude Monet a repris sa place dans son hangar municipal à Argenteuil, sans doute dans l’attente de la prochaine célébration de la naissance du peintre !
Les « Années d’Argenteuil » représentent pour l’impressionnisme une sorte d’âge d’or. Claude Monet, Edouard Manet, Auguste Renoir, mais aussi Gustave Caillebotte et Alfred Sisley s’y retrouvent notamment.
Rappelons que Auguste Renoir et Alfred Sisley, pour aller voir les régates du Havre, descendent la Seine en 1865, dans un bateau qu’ils ont loué, et qu’ils arrêtent pour peindre les endroits qui leur plaisent. De nombreuses toiles de ces deux peintres sont les té-moins de cette descente de la Seine.
Quant au peintre Gustave Caillebotte ( 1848 – 1894 ) sa passion pour le nautisme mérite quelques mots. C’est en 1881, sous l’influence de Claude Monet, qu’il emménage au Petit Gennevilliers, et rachète le chantier naval Luce. Régatier, il se passionne pour la vitesse, et cherche à perfectionner ses bateaux. C’était aussi un architecte naval reconnu. Il construisit des prototypes de voiliers aux multiples innovations, telles que voiles en soie, lest extérieur, coques hydrodynamiques, qui lui permirent de remporter des titres internationaux. En 1882 il construit le voilier Jack , en 1885 le dériveur La Pioche, et les voiliers Le Lézard en 1891, Roasbeef en 1892, Dahud en 1893 considéré comme son chef-d’œuvre, et Mignon lancé en 1894, après le décès de son inventeur. Il est aussi l’initiateur en 1889, de la « Jauge des 30m2 » du Cercle de la Voile de Paris, dont il était président depuis 1876. Gustave Caillebotte, très à l’aise au point de vue financier, a soutenu nombre de peintres « dans la dèche », en leur achetant leurs toiles.
▶ Yvon Taillandier – Monet – Flammarion.
▶ Sabine Cotté – Monet – Henri Scripel, 1974, ne mentionne le bateau-atelier du peintre qu’incidemment, en citant le tableau de Edouard Manet « Monet travaillant dans son bateau à Argenteuil, 1874 »
▶ Le bateau-atelier de Charles François Daubigny (article de ce blog)