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Les écluses à bassins d’épargne

Considérations sur l’alimentation en eau des canaux

L’alimentation en eau des canaux à point de partage est souvent déficitaire. Les ressources hydrauliques diminuent en fonction de l’altitude de leur captage, par réduction du bassin versant correspondant.

On a ainsi cherché de tous temps à réduire la consommation en eau de ces voies d’eau artificielles, afin de ne pas être contraint à réduire l’enfoncement autorisé pour les bateaux de commerce en période de sécheresse, mesure qui perturbe grandement le trafic.

L’abaissement du plan d’eau par suite de l’évaporation, est en été de l’ordre de 5mm par 24 heures en France. Ce résultat, qui est en réalité la différence entre l’évaporation proprement dite, et l’apport d’eau due aux précipitations atmosphériques, est évidemment très variable suivant la saison et le lieu. On ne dispose d’aucun moyen pour réduire les pertes par évaporation, qui restent d’ailleurs relativement peu importantes.
L’amélioration de l’étanchéité de la cuvette du canal, pour diminuer les pertes par infiltrations dans le plafond et les berges, est une des premières actions à entre-prendre. Les eaux perdues par infiltration retournent rarement à la vois navigable.

Les pertes par infiltration dans la cuvette du canal peuvent être importantes. Pour un canal ancien, comme le Canal du Rhône au Rhin par exemple, sans revêtement d’ étanchéité, implanté entièrement au dessus de la nappe phréatique, on a mesuré des pertes de l’ordre de 1,00 à 1,50 m3 par mètre de canal et par 24 heures. D’où la nécessité d’entreprendre des travaux d’étanchéité, qui peuvent être des revêtements de plafond et de berges (travaux de chômage), ou bien des protections des berges par des rideaux étanches (palplanches métalliques ou en béton armé), qui peuvent être mis en place en cours d’exploitation du canal, sans interruption de la navigation.

La consommation en eau des écluses

En réalité, et à proprement parler, une écluse ne « consomme » pas d’eau, mais livre passage à un certain volume d’eau à chaque éclusée ou cycle d’éclusage. Il s’agit donc d’un transit. On fait passer du niveau amont ( bief AM ) au niveau du bief aval ( bief AV ) le volume d’eau correspondant à une éclusée.

Pour un trafic rigoureusement équilibré, ce qui ne correspond pas à la réalité, sur un même versant de canal, avec des hauteurs de chute aux écluses de même valeur, le problème serait résolu si l’on disposait dans le bief le plus élevé ( bief de partage par exemple ) du volume d’eau nécessaire aux éclusées de la première écluse.

Ces conditions sont rarement réalisées. Les hauteurs de chute des écluses sont souvent différentes : dans ce cas c’est l’écluse  présentant la dénivellation la plus importante qui détermine le volume d’eau ( ou la consommation ) dont on devra disposer. Les écluses situées à val bénéficient d’un excédent d’eau qu’il faudra faire entrer dans le bilan de la consommation du bief intéressé, ou bien évacuer, par un déversoir de superficie par exemple, pour maintenir la stabilité des plans d’eau des différents biefs.

On peut calculer la « consommation » en eau d’une écluse : le produit de la superficie du sas et de la hauteur de chute correspond à une éclusée, une « bassinée ».
On ramène cette consommation en débit uniforme pendant la durée du cycle d’éclusage . Voici quelques résultats à titre d’exemple, par mètre de dénivellation :

Dimensions du sas Durée du cycle Volume de la bassinée Débit moyen
40,00 x 6,00 20 minutes 260 m3 0,22 m3/s
185,00 x 12,00 1 heure 2300 m3 0,64 m3/s

En cas de trafic important, les besoins en eau sont eux-mêmes importants ; d’où la nécessité de rechercher des solutions tendant à les réduire.

Les portes intermédiaires

Pour les écluses de grandes dimensions admettant plusieurs bateaux dans le sas, la mise en place d’une porte intermédiaire pour réduire la consommation d’eau en cas d’occupation partielle du sas peut être intéressante.

Le cas se présente lorsque l’on a affaire à un trafic irrégulier, ou en début d’exploitation d’une voie d’eau, lorsque le trafic n’a pas encore atteint le tonnage escompté. La porte intermédiaire au milieu du sas permet de réduire de 50% la consommation d’eau due aux éclusées. C’est ainsi le cas pour l’écluse de 195 m de long de la Chute de Donzère-Mondragon (Ecluse Saint-Pierre)

porte intermédiaire ouverte

porte intermédiaire fermée

Sur le Canal de Dunkerque à Valenciennes, les écluses de 144 m de longueur sont divisées en deux sas de 45 m et 91 m de longueur utile, permettant le franchissement des automoteurs de canal de 38,50 m, avec une économie d’eau appréciable.

A titre de curiosité, citons « l’écluse » à sas oscillant de M. Cardot, qui n’occasionne aucune consommation d’eau. Le sas basculant est équilibré par un contrepoids mobile, et ne nécessite qu’une faible puissance installée pour faire passer le plan d’eau dans le sas du niveau AV au niveau AM. Ce type d’écluse ne serait susceptible d’application pratique que pour de faibles dénivellations. Il s’agit sans doute « d’une idée », sans avant-projet détaillé, ni réalisation.

Les écluses à bassins d’épargne.

Depuis toujours les ingénieurs hydrauliciens qui s’occupent de navigation intérieure rêvent de remplacer les écluses à sas dont l’exploitation « consomme » de l’eau, par des « écluses » qui n’en consommeraient pas, ou qui en consommeraient moins !

Parmi les solutions envisagées, le but de notre propos n’étant pas d’ailleurs d’en retracer un historique complet, les écluses  équipées dès leur construction d’un ou plusieurs bassins d’épargne permettent une réduction importante de la consommation d’eau due aux éclusées.

Avant d’esquisser une certaine théorie des écluses à bassins d’épargne, prenons un exemple simple : l’écluse de Saverne, sur le Canal de la Marne au Rhin, équipée d’un seul bassin d’épargne.

Le canal de la Marne au Rhin, rappelons-le, a été mis en service en 1853, équipé d’ écluses de 34,50 x 5,20 m, au mouillage de 1,80 ( 2 ). la Loi française du 5 août 1879, présentée par le Ministre des Travaux Publics, Charles de Saulce de Freycinet, prescrivit l’allongement à 38,50 mètres des écluses des principaux canaux. En Alsace-Lorraine, cet allongement, sur la section du Canal de la Marne au Rhin incorporée au Reichsland Elsass-Lothringen, dont les écluses étaient restées à 34,50 m de longueur utile, fut entreprise en application de la Loi du 26 mai 1892. C’est dans le cadre de ce programme que fut réalisée l’écluse à bassin d’épargne de Saverne, en 1893/1894 ( 3 )

La nouvelle écluse remplace deux écluses accolées l’une derrière l’autre, les écluses 30 et 31 : les portes aval de l’écluse 30 servaient de portes amont de l’écluse 31. On avait donc au total trois paires de vantaux. C’est ce qui fit donner le nom « d’écluse double » à cet ensemble, nom que conservera la nouvelle écluse à bassin d’épargne de Saverne.

Écluse 30/31 de Saverne : Hier

…et aujourd’ui

Il s’agissait donc de porter à 38,50 m la longueur du sas de ces écluses, et d’augmenter le mouillage à 2,20 m pour un enfoncement autorisé de 1,80 m, ce qui permettait d’uniformiser les caractéristiques des écluses sur toute la longueur du Canal de la Marne au Rhin, en France et en Alsace-Lorraine, des deux côtés de la frontière.

Le choix se porta sur la réalisation d’une seule écluse équipée d’un bassin d’épargne, afin d’assurer une meilleure régulation du trafic.

En effet le franchissement de la dénivellation de Saverne, somme des chutes des deux écluses n° 30 et 31, dont la chute de 2,60 m est sensiblement la même que celle de toutes les écluses du Canal de la Marne au Rhin, soit 5,20 m environ, nécessitait le double de temps que celui d’une écluse simple, soit 40 minutes au total .

Les dispositions techniques prises pour le remplissage et la vidange de la nouvelle écluse permettaient de réduire le temps d’éclusage à la valeur moyenne, soit 20 minutes.

Cependant le prélèvement sur le bief amont au remplissage de l’écluse, ou l’évacuation des eaux dans le bief aval lors de la vidange de l’écluse, d’un volume double de l’éclusée normale, aurait perturbé le niveau des plans d’eau des biefs amont et aval. L’utilisation d’un bassin d’épargne permettait de résoudre en partie ce problème.

Les travaux furent réalisés en deux « campagnes », en 1893 et en 1894, comme l’indique M. Wiedenhoff dans son article ( 3 ) : deux « chômages », l’un de un mois en 1893 et l’autre de deux mois en 1894. Ce qui n’empêchait pas certains travaux de se poursuivre sans entraver la navigation en période d’exploitation du canal. L’écluse 30 fut supprimée, tandis que l’écluse 31 était allongée, avec un exhaussement des bajoyers, la construction d’un bassin d’épargne le long du bajoyer Nord, et la modification du pont-route de la Grand’rue de Saverne.

Le principe de fonctionnement de l’écluse de Saverne.

Le schéma ci-contre permet de comprendre le fonctionnement très simple d’une écluse équipée d’un seul bassin d’épargne, de la même superficie que celle du sas de l’écluse, comme c’est le cas à Saverne.

La communication entre le sas et le bassin d’épargne est assurée par la vanne cylindrique V. Le sas est également en communication avec les biefs amont et aval, soit par des vantelles dans les portes busquées, soit par des vannages dans les maçonneries, indépendants des portes de l’écluse : à Saverne,  il n’y a pas de vantelles dans les vantaux des portes de l’écluse, ni à l’amont, ni à l ‘aval. Soit VAM et VAV ces vannages, non figurés sur notre schéma ; en aucun cas ces vannes ne doivent être ouvertes simultanément.

Soit un bateau venant de l’amont ; il est dans le sas qui est au niveau amont ( niveau AM ) ; les vantaux des portes AM et des portes AV sont fermés. Les vannes VAM et VAV étant fermées, on commence la vidange du sas en ouvrant la vanne V, et on remplit ainsi le bassin d’épargne jusqu’au niveau N1, situé au tiers de la hauteur de chute : il y a alors égalité des niveaux dans le sas et le bassin d’épargne. On ferme ensuite la vanne V, et on achève la vidange du sas en ouvrant la vanne VAV. Le bateau se trouve au niveau AV ; on ouvre les portes AV ; le bateau peut sortir de l’écluse et pour-suivre sa route dans le bief AV. ( Fig. A )

On a ainsi mis en réserve dans le tiers central de la chute, un tiers du volume de la bassinée. Rappelons que la superficie du bassin d’épargne est la même que celle du sas.

Soit maintenant un bateau venant de l’aval, et qui se présente à l’écluse immédiatement après la sortie du bateau précédent. Il entre dans le sas qui est au niveau AV ; les portes AV et AM sont fermées. Avant toute chose, les vannes VAV et VAM restant fermées, on récupère la réserve d’eau du bassin d’épargne en ouvrant la vanne V, qui remplit le sas jusqu’au niveau N2 : il y a à ce moment égalité des niveaux dans le sas et le plafond du bassin d’épargne. Le tiers inférieur de la dénivellation est ainsi rempli. On ferme ensuite la vanne V, et on achève le remplissage du sas depuis le bief amont par la vanne VAM ; le bateau se trouve au niveau amont ; on ouvre les portes AM, le bateau peut sortir de l’écluse et poursuivre sa route dans le bief AM ( Fig. B )

Au cours de cette double opération, ce double sassement, on a « économisé » ainsi un tiers de la bassinée normale. Il est évident que cette économie se retrouve en cas de  « fausse bassinée », lorsque le trafic est déséquilibré, ce qui est le cas courant.

A Saverne, la communication hydraulique entre le sas et les biefs AM et AV, par les vannes VAM et VAV, s’effectue par l’intermédiaire d’un aqueduc longitudinal situé au niveau du radier de l’écluse, ouvert sur cette dernière, par une série de larrons.

Initialement ( 1894 ) l’écluse de Saverne était équipée d’une petite turbine hydraulique utilisant la dénivellation  entre  les  biefs  AM  et  AV, d’une  puissance de 8 ch, permettant d’effectuer mécaniquement la manœuvre des lourds vantaux des portes busquées AV de grande hauteur. Cette petite turbine a été supprimée dans le cadre des travaux d’automatisation des écluses du Canal de la Marne au Rhin ( 1978 – 1979 ), ce que d’aucuns considèrent comme une erreur.

Quelques formules…

Lors de la vidange du sas on envoie donc d’abord une tranche d’eau dans le bassin d’épargne, puis le reste dans le bief aval. Au remplissage, on utilise l’eau ainsi stockée dans le bassin d’épargne pour remplir une partie du sas, puis on complète avec de l’eau prise dans le bief amont. A chaque cycle de l’écluse on économise donc le volume d’eau contenu dans le ou les bassins d’épargne.

Les croquis  ci-dessous montrent quelles doivent être les positions des bassins d’épargne par rapport au sas de l’écluse pour que ces opérations soient possibles.

1er cas. La surface S’ des bassins d’épargne et la surface S du sas sont égales : S = S’ .

Soit n le nombre de bassins d’épargne
       H la hauteur totale de la chute
       h la hauteur des bassins d’épargne, correspondant aux « tranches » d’eau dans le sas

On attend l’égalisation des niveaux dans le sas et les bassins d’épargne.

L’économie relative supplémentaire donnée par un bassin d’épargne de plus, décroît ainsi assez rapidement.

On aura :

L’économie relative est alors, avec S = S’ :

On a ainsi une économie relative de :
33% avec un bassin d’épargne
50% avec deux bassins d’épargne
60% avec trois bassins d’épargne
66% avec quatre bassins d’épargne.

Vidange de l’écluse et remplissage des bassins d’épargne
Remplissage de l’écluse et vidange des bassins d’épargne

Le volume A vient en A’, B vient en B’, C vient en C’ et D vient en D’

2ème cas . La surface S’ des bassins d’épargne est différente de la surface S du sas.

On a ainsi S = m S’                avec
                        m < 1 : S’ est supérieure à S
                         m > 1 : S’ est inférieure à S.

On attend toujours l’égalisation des niveaux dans le bassin d’épargne et dans le sas.
Dans les deux dispositions de ce deuxième cas ( m < 1 ou m > 1 ), on a :

H = nh + mh + h  =  h ( n + m + 1 )

L’économie est alors:

On voit que l’économie diminue quand m augmente; il est donc sans intérêt d’envisager le cas où m>1.
Il peut être intéressant pour gagner du temps, de ne pas attendre que l’égalisation des niveaux dans le bassin d’épargne et dans le sas soit complètement réalisée.
On peut ainsi obtenir avec 1, 2 ou 3 bassins d’épargne, une durée de l’éclusée du même ordre de grandeur que sans bassin d’épargne, ce qui n’occasionne pas de perturbation du trafic.

Cas de m < 1
Cas de m > 1

L’écluse de Bouzingue

Sur le Canal d’Ypres à Furnes, en Belgique ( dans la Flandre Occidentale ), se trouve  l’écluse de  Bouzingue, (Boezinge est à 7 km au Nord d’Ypres sur la route de Dixmude ), une écluse à bassins d’épargne, qui peut être considérée comme la plus ancienne de ce type : elle fut construite en 1643, par un sieur Dubié, dit « Maître Dubié ».

Cette écluse de 20 toises de longueur sur 27 pieds de largeur ( 32,98 x 8,77m ), qui rachète une dénivellation de 20 pieds ( 6,50m ), est équipée d’une porte intermédiaire, et de deux bassins d’épargne, implantés perpendiculairement à l’axe longitudinal du sas et de part et d’autre de ce dernier.

 La surface S’ de ces bassins d’épargne est six fois plus importante que la surface S du sas de l’écluse : S’ = 6 S. On peut ainsi appliquer la relation donnant l’économie d’eau réalisée dans ce cas-là, avec n = 2 bassins d’épargne, et
m = 1/6 comme coefficient proportionnel des surfaces S et S’ :

soit 0,63 ou 63%, Ainsi cet équipement permet d’économiser près des 2/3 de la bassinée normale, sans bassins d’épargne. Cette ancienne écluse à bassins d’épargne est donc particulièrement performante ( 4 ).

L’écluse de Bouzingue n’est bien sûr pas la plus ancienne écluse à sas. D’aucuns pensent que la plus ancienne écluse à sas est celle mentionnée à Spaarndam aux Pays-Bas en 1289 ( 5 ). Cette information est cependant contestée.

écluse de Bouzingue
écluse de Spaarndam

Une solution mixte sans consommation d’eau.

Il s’agit d’associer « bassins d’épargne et pompage ». Bien sûr la remontée intégrale du volume des éclusées par pompage du bief aval dans le bief amont, annule toute consommation d’eau. On remplace la consommation de m3 d’eau par une consommation de Kwh !

Cette solution est valable pour les écluses en canal pour bateaux de 38,50m, la puissance installée des pompes à mettre en œuvre reste acceptable. Il n’en est pas de même pour les écluses à grand gabarit.

Il y a quelques années ( 1997 ), EDF et la CNR étaient associés pour les études et la réalisation de la liaison Rhin-Rhône à grand gabarit par l’Alsace et la Franche-Comté. On connaît le sort, tout à fait illégal, réservé à cette entreprise d’intérêt national.
Les ingénieurs EDF avaient alors eu une idée pour réduire pratiquement à rien la consommation d’eau des bassinées de ces écluses à grand gabarit, et ainsi faire taire les écologistes qui argumentaient que cette consommation allait être insupportable, compte tenu du niveau des ressources hydrauliques au point de partage du nouveau canal.

L’économie d’eau allant jusqu’à 66% avec quatre bassins d’épargne comme nous l’avons vu précédemment, n’était pas apparue comme suffisante. Voici donc l’idée des ingénieurs EDF.
On construit dès l’origine  des travaux deux sas parallèles, un seul étant alors équipé de portes mobiles et mis en service ; le second sas de réserve pouvant être équipé ultérieurement si les nécessités du trafic le justifiaient, sans que son rôle soit remis en question. Ce second sas est batardé aux deux extrémités, et sert de bassin d’épargne.

I. Lors de la vidange du sas, on transfère la ½ éclusée supérieure du sas en service dans le sas en réserve, lequel est toujours au niveau AV.
Phase Ia : 1 va en 2 par gravité : égalité des niveaux.
On pompe ensuite la ½ éclusée inférieure restante pour remplir la partie supérieure du sas de réserve.
Phase Ib : 3 va en 4 par pompage.

II. Lors du remplissage suivant du sas,on transfert la ½ éclusée supérieure du sas de réserve dans le sas en service.
Phase IIa : 4 va en 3 par gravité : égalité des niveaux.
Puis on pompe la ½ éclusée inférieure du sas de réserve pour finir de remplir le sas en service.
Phase IIb : 2 va en 1 par pompage.

C’est toujours la même eau qui est utilisée. En principe, la consommation d’eau est nulle. Par rapport à un pompage intégral, on économise 50%.

La problème des débits et des temps est important. On maîtrise bien les temps de transfert par gravité ; il faut dimensionner les aqueducs dans la bajoyer central en conséquence.

Pour les pompages, les quantités à pomper sont importantes. Soit par exemple un sas de 190,00m x 12,00m, avec H = 12,00m. La ½ éclusée vaut 190,00 x 12,00 x 6,00 = 13.680 m3

Admettons 6 minutes de pompage, soit 360 secondes. Le débit de pompage sera : Q = 13.680 : 360 = 38m3/s.
Ce qui correspond par exemple à une batterie de six pompes de 6,5 m3/s de débit unitaire.
Et ce qui correspond à une puissance installée Pi, avec un rendement des pompes estimé à 0,8 ( d’après R. Thélu ) :

ce qui représente une belle station de pompage !

Ce n’est cependant pas disproportionné en comparaison de ce qui ex Strépy-Thieu : cet ouvrage qui donne passage à des bateaux de 2 000 tonnes, équipé de deux bacs de 112,00 x 12,00 m d’un poids de 8 800 tonnes, dispose d’une puissance installée de 2 200 kw. La comparaison n’est peut être pas très valable, car l’ascenseur de Strépy-Thieu est équilibré par des contrepoids.

La solution des Ingénieurs EDF paraît séduisante, même si les coûts de premier établissement, de maintenance et de renouvellement de la station de pompage sont importants, tandis que son exploitation, compte tenu du prix de revient du kwh du producteur d’électricité EDF,  reste marginal, pendant les heures du tarif de nuit ( 6 ).

Quelques réalisations d’écluses à bassins d’épargne.

Parmi les réalisations anciennes, citons les écluses du canal de Charleroi à Bruxelles, équipées de deux bassins d’épargne, en forme de secteurs de même surface que le sas.   L’économie  pratiquement  réalisée  est  de  43,3% (théoriquement avec deux bassins d’épargne, on a vu que l’économie était de 50% ). La durée de l’éclusage est de l’ordre de 15 minutes pour un bateau de 300 tonnes. L’écluse rachète une dénivellation de 4,10m. Elle a été construite vers 1900.

Les écluses du Canal du Nord ( 1ère et 3ème sections ) sont équipées d’un bassin d’épargne, ainsi que celles du Canal de Roanne à Digoin, et du Canal de la Sensée.

En Allemagne on compte de nombreuses écluses équipées de bassins d’épargne : sur le Canal de l’Elbe à la Trave ; sur le Canal de Dortmund à l’Ems, à l’ancienne écluse de Henrichenbourg ( chute de 14,00 m, cinq bassins d’épargne, 1911 ) ; sur le Canal de Berlin à Stettin ; à l’écluse de Minden sur le Canal Ems-Weser, 1913 ( chute de 18,00 m, six bassins d’épargne ) …

L’écluse de la Villette du Canal St-Denis à Paris, ( 1890 – 1891 )  d’une  chute  de  9,92m,  comporte  un  bassin d’épargne entre les deux sas.

L’économie d’eau est de 33%.

Le principe du bassin d’épargne est également appliqué aux écluses doubles du Canal de Panama, réalisé entre 1881 et 1914, où la manœuvre des vannes du bajoyer central permet d’envoyer une partie de l’éclusée d’un sas dans l’autre. Les écluses du nouveau projet, qui  a été approuvé par référendum du 22 octobre 2006, seront équipées de trois bassins d’épargne ( 7).

Canal de Panama : Écluse de Gatum
Canal de Panama : Écluse de Miraflores

Parmi les réalisations plus récentes, il faut citer les spectaculaires écluses à bassins d’épargne de la liaison à grand gabarit Rhin-Main-Danube. Les écluses de ce canal, de 190,00 x 12 ,00 m, sont équipées en général de trois bassins d’épargne, de même superficie que le sas, ainsi que de portes intermédiaires. La vitesse moyenne de montée ou descente du plan d’eau dans les écluses est de l’ordre de 1,5m/min. La durée du remplissage est de 15 minutes environ. On n’attend pas l ‘égalité des niveaux dans le sas et les bassins d’épargne,  et  l’on  admet  une  différence  de niveau de 15 cm. L’économie théorique de 60% est ramenée à 59%. « L’éclusage est si paisible, dit le Dr Kuhn, que les bateliers, par expérience, n’arriment plus leurs bateaux pendant les opérations d’éclusage ». Les débits de remplissage des bassins d’épargne est de 140m3/s ; ce débit est de 70m3/s lors du prélèvement dans le bief AM ou pour la vidange dans le bief AV.
Ces installations sont complétées par une station de pompage permettant de refouler l’eau du bief AV dans le bief AM, ainsi que d’une conduite permettant de décharger l’eau du bief AM dans le bief AV.( 8 )

Conclusion

On peut dire en résumé de ce rapide tour d’horizon sur les écluses à bassins d’épargne, que :

▶ Les ressources hydrauliques naturelles du bief de partage d’une voie navigables artificielle ( canal )  sont en général insuffisantes pour assurer une exploitation intégrale par gravité ;
▶ La technique des bassins d’épargne, relativement ancienne, a été largement utilisée pour résoudre les problèmes d’alimentation déficitaires des canaux de navigation intérieure ;
▶ Le franchissement  des seuils  par un  canal à grand gabarit est  grandement  facilité  par le  mise en œuvre d’écluses à bassins d’épargne, technique qui offre ainsi un regain d’intérêt.
▶ Enfin  l’association « bassins  d’ épargne et pompage » est une solution très intéressante pour assurer, avec des coûts non prohibitifs, une exploitation rationnelle d’un canal à point de partage à  grand gabarit.

Je remercie vivement Raymond Thélu qui a bien voulu relire et surtout corriger et compléter mon texte.

Pour en savoir plus

1 ) D’après M. Bonnet –«  Cours de Navigation intérieure », 1931, p. 325.
Voir aussi à ce sujet : L. Rothmund – « L’écluse sans consommation d’eau ». Imprimerie Frey SA Zurich, 1949, 12 pp. (En fait « d’écluse », il s ‘agit d’élévateur à bateaux )

1a ) cf. F. Dumélie – Ecluses tubulaires pour un canal entre Gènes et Bâle – Revue « Fluviale » Oct. 2006, p. 34. Cet article se réfère à une étude de G. Goggia parue dans la revue « Cosmos » du 18 juillet 1908.

2 ) René Descombes –«  Canaux et batellerie en Alsace » – Le Verger Editeur, 1988 – Le Canal de la Marne au Rhin, pp. 96 – 116.

3 ) Ernest Wiedenhoff – « Sur le Canal de la Marne au Rhin : l’écluse double 30/.31 de Saverne. Pays d’Alsace », n°1 – 1991, pp. 39 – 41

4 ) Bernard Forest de Bélidor ( 1697 – 1763 ), Général d’armée, et Ingénieur du Génie, décrit longuement la construction et les caractéristiques de l’écluse de Bouzingue, dans son « Architecture hydraulique », Volume 4, pp. 411-414, Planche XLVII p. 424 – Paris 1753 ( réfce signalée par R. Thélu )

5 ) d’après E. Clouzot – « Une écluse à sas au XVème siècle » Revue archéologique, 1905 II.
On pourra  consulter à ce sujet : R.Thélu – « Les écluses avant le XVIIème siècle – Recherches sur les origines des écluses à sas » Revue de la Navigation, Ports et Industries, Strasbourg, 25 oct. et 10 nov. 1978 ( 15 pp. )

6 ) Pommier, Terrier, Le Grand et Olivier – « Les méthodes d’alimentation en eau des voies navigables. Optimisation d’un projet avec écluses. Les stations de pompage ». La Houille blanche, n° 2/3, 1981, pp. 87-92.

7 ) cf. « Le Figaro », des 25 mai ( Panama, le canal dans les grandes largeurs ) et 13 octobre 2006 ( La nouvelle bataille du canal de Panama ) – Communication de Raymond Thélu et documentation personnelle.

8 ) . Dr. Ing. Rudolf Kuhn –    „Die Schleusen  des Main-Donau-Kanals“  – Der Bauingenieur, 1971, Heft 5, ss. 163-184
. Dr. Ing. Rudolf Kuhn –   „Die Sparschleusen der Strecke Bamberg-Nürnberg“ – Baubericht 1962 der R.M.D. AG
. XXIème Congrès international de Navigation, 1965. Ouvrages de franchissement pour chutes de grande hauteur. Section I – Sujet 2 – Rapport de MM. Braun, Illiger, Köhler, Kuhn et Wittmann.