Aller au contenu

Martin Stockmeyer, batelier colmarien, héros populaire de la Révolution à Colmar.

La nuit mémorable du 3 au 4 février 1791.

Voici comment le serrurier colmarien Dominique Schmutz, témoin oculaire, relate l’événement dans son « Journal » :

Le 11 février 1791, trois commissaires de l’Assemblée Nationale arrivent de Strasbourg à Colmar, afin de s’informer des événements et de la situation. MM. les commissaires recueillent beaucoup de satisfaction dans l’accomplissement de leur mission. Cependant le soir, il se forme un grand rassemblement d’hommes et de femmes devant l’Hôtel des Six Montagnes  Noires où ils sont logés. Plusieurs de ces individus se mirent à crier : « Vive le Roi ! A la Lanterne ! ». Le tumulte était passablement grand, lorsqu’un membre de la municipalité, armé d’un gros bâton, tomba sur la foule et fit quelques trous dans les têtes. C’était Martin Stockmeyer, batelier et ses domestiques. On appela  aussitôt un poste de la garde nationale pour rétablir l’ordre. Stockmeyer se retira avec ses domestiques, et se fit une grande gloire d’avoir ainsi tapé dans le tas. Pour ce qui regarde les commissaires, il est certain que personne n’avait l’intention de leur faire du mal.

Tout semble dit. Cependant Dominique Schmutz place l’événement le 11 février 1791, alors que tous les historiens s’accordent pour le situer dans la nuit du 3 au 4 février 1791. Cela dit, nous nous proposons de  replacer cette journée mémorable dans l’environne-ment colmarien de l’époque révolutionnaire, et de présenter un peu les « responsables » comme l’on dit, de cet événement.

Etat des lieux.

La Révolution est en général bien perçue par les colmariens. Lorsque les tocsins du 14 juillet 1789 sonnent à toute volée la prise de la Bastille par les parisiens, ce n’est que le 25 juillet que la nouvelle arrive à Colmar. Nulle passion, aucune frénésie ne marquent dans la paisible ville le début de la Révolution de 1789, surprenant les colmariens en train de réfléchir aux problèmes d’urbanisme que pose l’extension de leur ville extra-muros.

La ville s’identifie soudainement à la France, qui personnifie enfin  pour elle, par sa devise « Liberté, Egalité, Fraternité », les revendications politiques et sociales de son long passé, et lui promet la réalisation de ses aspirations séculaires à la liberté.

Une certaine effervescence, dépourvue de spontanéité, s’empare cependant de la population ce 25 juillet. Une délégation des bourgeois se dirige vers l’Hôtel de Ville, qu’entoure déjà une population bruyante, contraignant le Magistrat à supprimer certains impôts anciens et impopulaires, et d’accepter une révision de  la constitution municipale, et la démission du Magistrat.

L’administration de la ville est alors remplacée à titre provisoire, par une municipalité de fait, composée d’un syndic, de huit assesseurs ou conseillers, et d’un greffier, nommés par quarante-huit représentants des citoyens de la ville, élus par les corporations. Le syndic est Daniel Adam Eggerlé ( 1752 – 1828 ), arpenteur-géographe du Conseil Souverain à Colmar, qui avait été l’un des délégués de Colmar aux Etats Généraux, en mars 1789 à Paris.

En février 1790, une série de décrets de l’Assemblée nationale réorganisent les municipalités, ayant à leur tête un Maire. Le premier Maire de la Révolution à Colmar, fut Etienne Ignace de Salomon, ancien second président du Conseil Souverain d’Alsace, qui prendra en mains les destinées de la Ville jusqu’en 1792.
Le 30 septembre de la même année, l’Assemblée Nationale dissout le Conseil Souverain d’Alsace, qui est remplacé par un tribunal de district révolutionnaire.
Colmar devient chef-lieu du Département du Haut-Rhin ; la Convention Nationale élève Colmar au rang d’évêché constitutionnel.
La Constitution civile du clergé marque, en Alsace comme partout en France, la fin des privilèges et des richesses de l’Eglise ( Loi du 12 juillet 1690 ). La fermeture des couvents affecte sans exception les ordres  réguliers de Colmar.

Cependant toutes ces  mesures révolutionnaires sont assez mal reçues par une certaine partie de la population colmarienne, qui reste attachée aux anciennes institutions. Trop, c’est trop !

Telle était l’ambiance à Colmar en février 1791, lors de la venue des trois commissaires envoyés par l’Assemblée nationale pour se rendre compte précisément de l’état d’esprit des alsaciens et des colmariens en particulier, vis-à-vis des idées révolutionnaires.

Quels sont les acteurs qui ont pris une part plus ou moins active à l’événement de la nuit du 3 au 4 février 1791 à Colmar ?

Bien sûr il y a le batelier Martin Stockmeyer, et les trois commissaires, Hérault de Séchelles, Mathieu Dumas et Joseph Ignace Foissey. Sur le plan local, il y a le Maire de Colmar, Etienne Ignace de Salomon, le major Jean Baptiste Dubois, Commandant de la Place de Colmar, et un certain M. Bergeret, Commandant de la Garde nationale de Colmar. Quel rôle  ont-ils joué – ou n’ont-ils pas joué – ces personnages au cours de l’échauffourée de la nuit du 3 au 4 février 1791 ? Et quel souvenir en a gardé l’Histoire ?

Martin Stockmeyer

Le personnage principal est sans conteste Martin Stockmeyer, qui est né à Colmar le 18 juin 1740. Son père, Martin Stockmeyer était batelier. Sa maison au 14, Quai de la Poissonnerie est toujours debout. Sa mère Jeanne  Baptiste Hecker était également fille de  batelier. Martin Stockmeyer épouse en 1764 Anne-Marie Peter, qui n’est pas fille de batelier, mais la  fille d’un bonnetier.

C’est en 1765, il avait donc 25 ans, qu’il est admis membre de la Tribu « Zum Loewen » ( Au Lion ) qui regroupe depuis 1356 les pêcheurs, les bateliers et les bouchers. Les tribus de Colmar étaient initialement  au nombre de vingt ; elles ont été réduites à dix en 1521, et leur organisation perdurera sans changement jus-qu’à la Révolution. La Tribu « Zum Loewen » est l’une des plus petites, et ne  comprend qu’une cinquantaine de membres, dont dix-huit bateliers  au début du XVIIIe siècle, alors que les vignerons sont plus de deux cents, les agriculteurs  cent cinquante, ainsi que les jardiniers. Martin Stockmeyer a dû payer son droit d’entrée, et prêter serment. Il avait même dû produire l’équivalent d’un « certificat de bonne vie et mœurs ». Sans doute a-t-il fait également partie de la confrérie, et de la caisse de secours correspondant à la Tribu « Zum Loewen ». Les activités de Martin Stockmeyer se situent sans doute sur l’Ill ; ce n’est pas un batelier du Rhin.

C’est un personnage assez remuant ; d’une stature impressionnante, une véritable « armoire à glace » dirait-on de nos jours ; il avait son franc-parler. Ses interventions au cours des réunions de sa corporation étaient redoutées, sinon dérangeantes.
Il  fut élu au conseil Municipal de Colmar le 6 février 1790, lors de la première municipalité issue de la Révolution. Martin Stockmeyer avait alors la cinquantaine ; c’était un homme dans la force de l’âge.

Certains le nomment « appariteur » de la Ville de Colmar ; d’autres « officier municipal », d’autres simplement « membre de la municipalité », ce qui est exact. On ne sait pas vraiment quelles étaient ses fonctions officielles, en dehors de son métier de batelier de l’Ill.

Toujours est-il que lorsque débouchèrent quelques hommes armés de  rames, de gaffes et de gourdins conduits par une espèce de géant, une sorte d’hercule tenant en mains une énorme massue, devant l’Hôtel des  Six Montagnes Noires, la foule ne fut d’abord nullement impressionnée par cette irruption ; mais elle fut vite convaincue par les arguments frappants de Martin Stockmeyer et de ses amis, tous bateliers du Quai de la Poissonnerie et de la  Krutenau, qui firent place nette en quelques instants, au détriment des échines, des têtes et des épaules des manifestants, mettant fin brutalement à cette manifestation populaire dont les trois commissaires auraient pu faire les frais. Nous en reparlerons.

Herculi Colmariensi / Martin Stockmeyer (gravure de C. Guérin)

Cette prestation de Martin Stockmeyer fit forte impression. L’Assemblée Nationale en fut officiellement informée par l’un des  trois commissaires dès son retour à Paris. Dès le 11 février 1791, date retenue par le serrurier Dominique Schmutz, le Ministre de la Justice Duport du Tertre, écrivit au nom du roi une lettre de félicitation à Martin Stockmeyer. Un graveur fut chargé de faire le portrait du héros, portrait qui fut largement diffusé  en Alsace et fut adressé à l’Assemblée Nationale. A la Société Populaire de Strasbourg, Hérault de Séchelles et le général François Kellermann intervinrent pour louer la conduite exemplaire de Martin Stockmeyer.

Il faut reconnaître que la ville de Colmar fut relativement pacifiée à la suite de cette affaire, bien que des événements de nature semblable se renouvelèrent le 22 mai suivant. En reconnaissance des services rendus, Martin Stockmeyer fut nommé par la Ville de Colmar, Inspecteur des bâtiments et des forêts de la Ville, et à ce titre il fut logé gratuitement au Werkhof. Cependant Martin Stockmeyer n’avait sans doute pas une notion très claire des limites de ses  intérêts personnels et de ceux de la Ville de Colmar. Il exploita à son profit certaines parcelles forestières, et fut relevé de ses fonctions d’Inspecteur des bâtiments et des  forêts de la Ville de Colmar. « Tous les grands hommes ont leurs faiblesses, dit Véron-Révilles. Gardons-nous donc de rien ôter à l’auréole dont la légende populaire a décoré le front de cette réjouissante figure ».

« L’hercule de Colmar » dont la popularité avait fait rapidement le tour de l’Alsace et même des autres provinces françaises, est décédé le 25 octobre 1802, à l’âge de 62 ans, sans descendance. Son énorme gourdin qui fit place nette  dans la  nuit du 3 au 4 février 1791, fait partie des collections du Musée Unterlinden de Colmar, où on peut le voir. Une rue de  Colmar porte le nom de  Martin Stockmeyer.

Peinture sous verre représentant l’appariteur Stockmeyer en action. Au fond l’Hôtel des Six Montagnes Noires, qui sera démoli après son incendie en 1880. (Musée d’Unterlinden de Colmar)

Le voyage des commissaires.

C’est dans sa séance du 20 janvier 1791 que les députés alsaciens qui siégeaient encore à l’Assemblée Nationale, réclamèrent l’envoi de trois commissaires royaux pour pacifier si possible les esprits dans la province. La mesure a été votée immédiatement, et sanctionnée de suite par le roi, et les trois délégués ne tardèrent pas à se mettre en route.

La première étape des  trois commissaires est Strasbourg. Il y avait deux itinéraires entre Paris et Strasbourg, entre Châlons-sur-Marne et Sarrebourg : l’un passait par Verdun et Metz, l’autre par Toul et Nancy ; ce dernier semble le plus fréquenté.

Sous Louis XV, disons au milieu du XVIIIème siècle, vers 1750, le voyage Paris-Strasbourg s’effectuait  en onze jours par la diligence, qui partait le samedi à 6 heures du matin ; le mardi de la semaine suivante on dînait à Saverne, mais on couchait un peu avant Strasbourg, à Wolfisheim, car à cause de la fermeture des portes, on ne pouvait entrer à Strasbourg que le lendemain matin du onzième jour.

En 1791, les  trois commissaires bénéficient d’un voyage plus rapide : il faut alors six jours pour aller de Paris à Strasbourg ; la vitesse moyenne atteinte par la diligence ne dépasse pas dix à douze kilomètres à l’heure. La ligne est exploitée par les Messageries Laffitte & Caillard. Il en coûte 0,75 frs par lieue de poste, soit environ 4 km.
Les étapes sont alors les suivantes, sans que cela soit fixé de façon invariable, les  relais pouvant être modifiés, suivant les accords passés entre la Compagnie de transport et les aubergistes : Château-Thierry, Châlons-sur-Marne, Bar-le-Duc, Nancy et Sarrebourg, pour l’itinéraire par Nancy, soit 102 lieues de poste et environ 400 kilomètres.

A titre documentaire et soit dit en passant, un demi siècle plus tard, Victor Hugo et Juliette Drouet prennent la malle-poste de Strasbourg à Paris le 31 août 1839 à 18 h, et  arrivent à  Strasbourg le 2 septembre à 6 h 30, passant par Sézanne, Vitry-le-François, Nancy, Phalsbourg et Wasselonne ; le 1er septembre ils déjeunent à Vitry-le-François et dînent à Nancy ; ils n’ont passé que deux nuits, en trente-six heures, dans la malle-poste. « C’est une  terrible chose qu’une nuit en malle-poste ! », dit Victor Hugo (« Le Rhin »), qui précise que la descente de la fameuse côte de Saverne s’est effectuée à une vitesse vertigineuse, en un quart d’heure, dépassant ainsi les 20 km/h !

Certains relais de poste sont réputés pour leur bon accueil : ainsi le relais de poste aux chevaux de Dombasle-sur-Meurthe, où la malle-poste de Paris à Strasbourg passe  trois fois par semaine ; son « Auberge du Cheval Blanc » est célèbre et bien achalandée .

Le confort de la diligence était très inégal pour les seize voyageurs qui y prenaient place, ainsi répartis dans les trois compartiments de la diligence, qui ne communiquent pas entre eux : trois dans le coupé, les places de luxe, sur le devant ; six à l’intérieur au milieu, quatre dans la rotonde où l’on entrait par l’arrière de la voiture ; et trois enfin sur la banquette  avec le postillon. Ce nombre de passagers correspond au type de diligence dite « de seconde classe », qui avait pratiquement éliminé les diligences plus lourdes « de première classe » qui pouvaient prendre vingt ou vingt-et-un passagers.

L’attelage ordinaire est de cinq chevaux, mais lorsque l’on attaque la montagne, où une forte côte, on utilise des relais, et l’on attelle souvent huit chevaux, ou même davantage.

A Strasbourg, les trois commissaires  furent tout d’abord bien reçus par la Municipalité, le District, la Société Populaire, tandis que le Directoire du Département  du Bas-Rhin faisait excuser son absence en bloc pour cause de maladie !

Les commissaires se hâtèrent de promettre que « le plus profond respect pour la religion et ses dogmes dirigerait toutes leurs démarches ». Mais en même temps ils envoyaient des troupes de ligne à Molsheim et Obernai, centres réactionnaires particulièrement remuants, et ils prononçaient la dissolution de la « Société des catholiques romains », bien que celle-ci se fût prudemment muée en « Société de l’Union » !
Sur le rapport des commissaires, l’Assemblée nationale vota des félicitations pour leur attitude patriotique à la Municipalité et au District de Strasbourg, mais suspendit le Directoire du Bas-Rhin et son procureur-général-syndic François Joseph Guillaume de Schauenbourg, tandis que les membres dudit Directoire étaient remplacés par des constitutionnels nettement prononcés… Ces actes valurent à l’Assemblée Nationale et à ses trois commissaires des attaques très violentes, voire furieuses.

Ainsi par exemple, on peut lire dans l’un de ces pamphlets : « Trois bêtes fauves sont arrivées ici, avides de carnage et de sang humain… Tous les bons chasseurs sont invités à se mettre en chasse… Presque chaque soir, ils se glissent de leur repaire dans le trou pestilentiel des conventionnels. On promet de la part du Comité de police un notable pourboire à celui qui délivrera la Ville de ces trois bêtes immondes » (Rodolphe Reuss ).
C’était un appel à l’assassinat politique, très loin de la bienvenue dont avaient bénéficié les trois commissaires lors de leur arrivée à Strasbourg.

De Strasbourg, les  trois commissaires firent donc un aller et retour rapide à Colmar, occasionnant les incidents que l’on sait.

Voici maintenant quelques informations sommaires intéressant ces trois commissaires.

Marie-Jean Hérault de Séchelles

Marie-Jean Hérault de Séchelles est né à Paris le 15 novembre 1759. Ce fut le plus jeune avocat général au Châtelet en 1780, très estimé par Marie-Antoinette. Il a dit lui-même qu’il était parmi ceux qui prirent la Bastille, le 14 juillet 1789. Elu député de la Seine-et-Oise à l’Assemblée Législative en 1791, il ne cessa de se manifester contre la royauté. Il participe à la formation du premier Tribunal révolutionnaire après le 10 août 1792. Il est élu député de Seine-et-Oise à la Convention Nationale, où il siège avec les Montagnards. Il est en mission en Savoie au moment du procès de Louis XVI, et vote par écrit la mort du roi.
Président de la Convention au moment de l’émeute du 31 ami 1793, il cède à la pression populaire, et met aux voix le décret prononçant l’arrestation des vingt-deux Girondins.

Hérault de Séchelles par Jean-Louis Laneuville (musée Carnavalet)

Membre du Comité de salut public, il  contribue à organiser le régime de la Terreur. Lié à Danton, on l’accuse d’entretenir des relations avec les émigrés ; dénoncé par Robespierre, sur proposition de Saint-Just, la Convention le décréta d’accusation. Il comparaît devant la Tribunal révolutionnaire en Avril 1794, est condamné à mort et guillotiné avec les partisans de Danton : il avait 34 ans. Il est l’un des principaux rédacteurs de la « Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen » de 1793.

Il a laissé un certain nombre d’ouvrages de politique et d’œuvres littéraires qui ont été réédités récemment, dont sa « Théorie de l’ambition » ( 1978 ) ; ses « Œuvres littéraires et politiques » ( 1970 ), « Sur la conversation » ( 2005 ). A Colmar, Hérault de Séchelles aurait tenté d’haranguer la populace depuis  une fenêtre de l’étage de l’Hôtel des Six Montagnes Noires, mais  il n’avait pas pu se faire entendre dans le tumulte et les vociférations des émeutiers.

Mathieu Dumas

Mathieu Dumas, né à Montpellier en 1758, était maréchal de camp lors de sa mission à Strasbourg et Colmar. Il fut chargé en qualité de commissaire de ramener Louis XVI et la famille royale à Paris après la fuite à Varennes. Mathieu Dumas participa à la Guerre d’indépendance des Etats-Unis comme aide de camp du Général Rochambeau. Il fut chargé d’étudier les positions militaires de la Grèce, de l’Archipel et de l’Asie Mineure, et dressa un rapport très remarqué. Il organisa la Garde Nationale avec La Fayette, et alla rétablir l’ordre à Metz au milieu des troupes désorganisées, et créa l’artillerie à cheval. Député à l’Assemblée Législative, il fut un orateur des plus remarquables de la droite. Il fit partie du Conseil des Anciens, fut proscrit au 18 Fructidor, et rentra en France après le 18 Brumaire, et fut employé à former à Dijon l’armée de réserve que Bonaparte conduisit à Marengo ; membre du Comité de la Guerre, général de division en 1805, il alla après la Paix de Presbourg pendre possession des provinces illyriennes.

Le général Comte Dumas par Louise Adélaïde Desnos (Musée de l’Armée, Paris)

Ministre de la Guerre de Joseph Bonaparte, roi de Naples, il fur chargé de l’exécution du Traité de Vienne, et nommé Comte d’Empire, Grand Officier de la légion d’Honneur. Intendant général de l’armée pendant la Campagne de Russie ( 1812 ), fait prisonnier après la capitulation de Dresden, il revient à Paris en 1814, et la Restauration lui confia la liquidation des comptes de  la guerre. Napoléon au retour de l’Ile d’Elbe, lui confia l’organisation des Gardes Nationales. Mis à la retraite après Waterloo, appelé au Conseil d’Etat en 1818, membre en 1822 de la Commission de la défense du royaume, député en 1828, pair de France en 1831 ; il est décédé en 1837 à Paris. On lui doit un « Précis des événements militaires de 1799 à 1807 » en 19 volumes (1807-1826)

Mathieu Dumas, commissaire dépêché en Alsace par l’Assemblée national en 1791, eut une belle carrière militaire et politique, mais son rôle à Strasbourg et Colmar semble assez effacé.

Joseph Ignace Foissey

On peut porter une appréciation analogue à propos du troisième commissaire, Joseph Ignace Foissey, né à Mirecourt ( Vosges ) le 11 mai 1739, qui était un homme de loi  avant la Révolution. Elu le 31 août 1791 parmi  les huit députés du Département de la Meurthe, il siégea à droite  à l’Assemblée. Pendant le régime révolutionnaire Foissey fut arrêté lui-même et détenu quelque temps, puis  remis en liberté. Il devint plus tard président du Tribunal de  Nancy, ville où il est décédé le 4 décembre 1818.

Etienne Ignace de Salomon, Maire de Colmar

Le maire de Colmar au moment des événements de février 1791, était Etienne Ignace de Salomon, né à Colmar le 26 décembre 1741. Il est Licencié en Droit de la faculté de Strasbourg en 1762, et obtint en 1763 une charge au Conseil Souverain d’Alsace, où il succéda en 1768 à son père comme second président. Il se rapprocha de la bourgeoisie « éclairée » colmarienne, de Daniel Adam Eggerlé et de la première municipalité de Colmar, et lors des élections de février 1790, le « citoyen Salomon » fut élu Maire de Colmar, premier Maire de la Révolution, fonction qu’il conserva jusqu’au 19 décembre 1792, date de son remplacement par Nicolas Sébastien Simon, le nouveau Maire. Après la  dissolution du Conseil  Souverain d’Alsace, il reste dans la magistrature comme haut-juré, chargé d’organiser les nouvelles instances  judiciaires du District de Colmar. Arrêté comme suspect en février 1794, il fut réhabilité après le 9 Thermidor, pour être réintégré dans la magistrature comme Président du Tribunal de District de  Colmar, puis juge  au Tribunal d’appel du Ht-Rhin. Il  est décédé en fonction le 20 décembre 1818 à Colmar.

Le Maire de Colmar Etienne Ignace de Salomon serait venu, le lendemain de l’échauffourée, s’excuser auprès des trois commissaires, à l’Hôtel des  Six Montagnes Noires, pour les « événements  regrettables » de la veille. Mais il  ne semble pas avoir bougé, ne s‘était pas déplacé lors de ces incidents.

Jean Baptiste Dubois

Le major Jean Baptiste Dubois ou Duboys, était Commandant de la Place de Colmar en 1791. Il aurait refusé les honneurs militaires aux trois commissaires lors de leur venue à Colmar.

M. Bergeret

Quant à M. Bergeret, Commandant de la Garde Nationale de Colmar, on sait que ses hommes sont intervenus peu après l’échauffourée de la  nuit du 3 au 4 février 1701, « pour rétablir l’ordre », alors que  Martin Stockmeyer et ses amis avaient déjà fait place nette devant l’Hôtel des  Six Montagnes Noires. Une intervention sans grande portée.

Conclusion.

Après ces événements, la mise en place des dispositions de la Constitution Civile du Clergé s’est pour-suivie, de façon inexorable. Ainsi Martin Arbogast sera élu évêque constitutionnel de Colmar dès le 28 mars 1791. La fermeture des couvents affecte sans exception les ordres réguliers de la ville : les Augustins sont dispersés en mai 1791, les Capucins suivent le 20 juillet 1792. Les moniales dominicaines d’Unterlinden et les Catherinettes sont dispersées le 29 août 1792. Enfin le Collège et l’Eglise Saint-Pierre sont fermés en mai 1793. Les couvents des Catherinettes et des Dominicains deviennent respectivement hôpital et caserne militaire ; les Augustins deviennent prison départementale. Le 20 mars 1792, sur ordre départemental, un chaudronnier abat le  clocheton-cavalier gothique de la Cha-pelle d’Unterlinden, dont le cloche, lourde de plus de 300kg, est descendue le lendemain. Le 1er septembre 1792 les autels, les orgues, les tableaux et la vaisselle sont vendus à l’encan ; le décret du 17 mars, et la Loi du 14 juin 1791 dite Loi Le Chapelier, suppriment les corporations et ouvrent la voie à la liberté de l’artisanat.

On peut lire dans une biographie du Général Desaix :
« Hérault de Séchelles, Foissey et Mathieu Dumas, qui ravi de le retrouver (Desaix), en fait sur le champ son aide de camp, sont envoyés en Alsace pour y rétablir l’ordre. Aussitôt, une émeute éclate à Colmar où Mathieu Dumas, du balcon de  l’hôtel de ville, harangue la foule. Les émeutiers tentent de forcer la porte mais se heurtent à un Desaix impassible qui, seul devant une vingtaine d’assaillants, dégaine son épée et les  somme de se retirer. Son sang-froid fait impression et calme le jeu. Mathieu Dumas s’en souviendra lorsque, le 24 novembre suivant ( 1791 ), il signe son brevet de lieu-tenant »

On ne sait où l’auteur de ces lignes parfaitement erronées à pêché tout cela, mais le futur Général Desaix n’avait alors pas besoin de cette « récupération » tout à fait usurpée pour assurer sa gloire.

De nos jours, l’action des commissaires à Strasbourg et Colmar semble bien oubliée, perdue de vue : « L’arrivée à Strasbourg de trois commissaires, Foissey, Hérault de Séchelles et Dumas, envoyés au secours de Dietrich, ne fait qu’aggraver la situation », peut-on lire dans « l’Histoire de Strasbourg », vol. 3, p. 546 – DNA-Istra, 1981. C’est tout.

L’échauffourée de la nuit du 3 au 4 février 1791 devant l’Hôtel des Six Montagnes Noires, qui sera détruit par un incendie en 1880, reste  un fait-divers à la gloire du batelier Martin Stockmeyer dans l’Histoire locale de Colmar.

Pour en savoir plus

➤ Chronique du serrurier Dominique Schmutz de Colmar – 1714 – 1800 – Traduit par J. Liblin – Revue d’Alsace, 1874, pp. 65-66.

➤ Sigismond Billing – Colmar und die Schreckenzeit –Stuttgart, 1873, 116 pp.

➤ A. Véron-Réville – Histoire de la révolution française dans le Haut-Rhin – 1789 – 1795 – Paris/Colmar, 1865.

➤ Charles Foltz – Souvenirs du vieux Colmar – Colmar 1887, p. 107.

➤ Em. Dard – Un épicurien sous la terreur – Hérault de Séchelles – 1759-1794 – Paris 1907 ( sa mission dans le Haut-Rhin, pp. 305 – 332 )

➤ Hermann Wendel – Hérault de Séchelles im Haut-Rhin – Annuaire de Colmar, 1937, pp. 131-154.

➤ Nouvelle Revue d’Alsace et de Lorraine , 3e année, IV, p. 289.

➤ Armand Durlewanger – Si Colmar m’était conté. DNA, 1967 – 168 pp.

➤ Hunckler – Geschichte der Stadt Colmar, 1838.

➤ Claude Muller et Jean-Luc Eichenlaub – MM. les ma-gistrats du Conseil Souverain d’Alsace et leurs familles au XVIIIe siècle.

➤ Ch. F. Heitz – La contre-révolution en Alsace, de 1789 à 1793 – Pièces et documents, Strasbourg, 1865.

➤ A. Scherlen – Les corporations de Colmar et des environs de Colmar – Perles d’Alsace, 1926, pp. 50-77.

➤ L. Sittler – Le Ladhof et la navigation colmarienne. Annuaire de la Sté historique et littéraire de Colmar, 1957, pp. 13-23.

➤ Gonzague Saint-Bris – Desaix, le sultan de Bonaparte. Editions Perrin, Paris, 1995, p. 42.