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Les métiers de l’eau : le porteur d’eau

Avant la  réalisation des réseaux de distribution d’eau potable, les porteurs d’eau assuraient le ravitaillement en eau des populations urbaines. Dans  les  villes, les porteurs d’eau constituaient une corporation relativement importante. Dans les  villages, chacun allait puiser son eau au puits le plus proche.

On distingue à Paris – Paris n’est pas toute  le France, bien sûr, mais c’est là que les renseignements sont les plus accessibles, lesquels peuvent être transposés, mutatis mutandis, à la province – trois catégories de porteurs d’eau : les porteurs d’eau à la sangle, ceux qui disposent d’une charrette équipée d’un tonneau ( une  tonne ) qu’ils tirent eux-mêmes à la  bricole, et enfin ceux qui font tirer leur charrette par un âne, un mulet ou un cheval.

La « Taille » de  1292 recense 58 « porteurs d’yaue », sans doute des porteurs d’eau à la sangle., qui devaient emplir leurs seaux aux fontaines : il  leur était interdit, « à peine de punition corporelle », de puiser l’eau de  la Seine depuis la Place Maubert jusqu’au Pont-Neuf, «  à cause de l’infection et impureté des  eaux qui y croupissent ». Il y avait alors seize fontaines publiques, alimentées en eau de source par les deux aqueducs de Belleville et des Prés-Saint-Gervais. En 1643 on comptait une trentaine de fontaines publiques.

On substitua bientôt à la « courbe » de bois rigide reposant sur les épaules du porteur d’eau, une sangle de cuir relativement large, que l’intéressé plaçait en diagonale sur ses épaules ; aux extrémités de cette sangle étaient fixés deux crochets de fer, où l’on accrochait les seaux. Un arceau, ou croche, de solides lattes, maintenait les seaux à distance du porteur. Ces  seaux étaient à l’origine faits de hêtre très mince, et furent remplacés plus tard par des seaux en fer blanc. A la surface de l’eau flottait une « nageoire », ce morceau de bois étant destiné à modérer les mouvements de l’eau pendant la marche du porteur. Les deux seaux  ensemble constituaient « une voie » d’eau, soit de l’ordre de trente cinq litres.

Quelques années avant la Révolution, on comptait quelque vingt mille porteurs d’eau à Paris, toutes catégories confondues, presque tous auvergnats. Un siècle plus tard ( 1879 ), ils n’étaient plus que sept cents. Parmi les porteurs d’eau au tonneau, ceux « à cheval » constituaient l’aristocratie des porteurs d’eau. Dès que  le porteur d’eau à la sangle avait  réalisé quelques économies, il n’avait de cesse de se procurer une charrette équipée d’une « tonne », ce qui lui permettait de  réaliser un « chiffre d’affaire » plus important, avec moins de fatigue et des perspectives financières certaines.

Le porteur d’eau au tonneau est soumis à une réglementation particulière. Ses tonneaux doivent être jaugés officiellement, moyennant finance. Il paie un droit d’eau pour chaque hectolitre puisé à la fontaine publique, alors que le porteur d’eau à la sangle ne paie rien ; des agents municipaux sont chargés  de surveiller et de contrôler ces approvisionnements ; des conflits entre ces agents et les porteurs d’eau sont quotidiens. Les porteurs d’eau sont par ailleurs tenus d’avoir leurs « tonnes » pleines pendant la nuit, sous peine d’amende. Lors des incendies, les porteurs d’eau sont appelés à participer à la lutte contre le feu, « un service dont ils s’acquittent d’ailleurs avec une louable émulation ». Ils sont indemnisés par la municipalité pour ces services rendus en collaboration étroites avec les pompiers.

A chaque porteur d’eau, de quelque catégorie qu’il soit,  est affecté un numéro d’ordre  délivré par la police, une sorte d’immatriculation payante.

« Le cheval du porteur d’eau au tonneau mérite une mention honorable. Tout normand qu’il soit, il semble appartenir à une espèce particulière, omise à tort par le comte de Buffon. Le galop lui est totalement inconnu ; son allure tend plutôt à se rapprocher de celle de la tortue. Cet étrange quadrupède ne s’emporte jamais, marche en ligne droite, fait trois pas, s’arrête, recommence et s’arrête encore ; touchant symbole de l’égalité d’humeur et de la régularité de conduite »

Les porteurs d’eau de  Paris sont quasiment tous auvergnats ; quelques-uns viennent de Normandie, mais la majorité est originaire du Cantal et de l’Aveyron.

La clientèle du porteur d’eau s’achète comme tout fonds de commerce. L’évaluation de cette clientèle est fonction du nombre et de la situation sociale des clients. On prend en considération le quartier ; les rues tortueuses du faubourg Saint-Jacques sont moins recherchées que la Chaussée d’Antin ou le faubourg Saint-Germain
Le prix de la transaction comprend les ustensiles nécessaires à la profession : cheval, harnais, voiture, bricole, tonne, seaux, sangle, croche …

Le vendeur conduit l’acheteur chez toutes ses pratiques, pour le présenter solennellement …

Les porteurs d’eau n’ont pas bonne réputation, dans les trois catégories. Ils sont volontiers querelleurs. Ainsi ils brutalisent les gens de maison qui viennent quérir de l’eau aux fontaines pour leur employeur, prétextant qu’ils leur font concurrence ; la police devait souvent intervenir pour rétablir la paix entre les intéressés. Ils agressent le bourgeois … verbalement, mais parfois aussi physiquement, en lui jetant un seau d’eau dans les jambes ! Les femmes qui viennent rincer leurs linges aux fontaines ou en rivière, dans ce qu’ils considèrent comme leur espace vital, sont également prises à partie. Et puis ce sont de mauvais payeur, négligeant de payer leur droit d’eau aux fontaines, et si les amendes sont inefficaces, on les met en prison pour deux, trois  et jusqu’à six jours et même plus pour les récidivistes impénitents : ceux-ci ne se plaignent d’ailleurs pas, étant logés et nourris gratuitement, sans  soucis du lendemain ! D’aucuns se plaignent aussi du vacarme qu’ils font dès cinq heures du matin, en criant « A l’eau ! » dans les cages d’escaliers : mais ils semble qu’aucun règlement ne permettent de verbaliser cette forme d’agression auditive et intempestive. Les « Cris de Paris » des différents métiers sont admis comme un moindre mal.

Parfois la « carrière » du porteur d’eau s’avère  une  réussite : de porteur d’eau à la sangle, en passant pat porteur d’eau au tonneau à la bricole, puis à cheval, le porteur d’eau auvergnat, après des années de dur labeur et d’économies, achète un fonds de marchand de charbon. Le bougnat est aussi parfois débit de vin et porte-pot. C’est là le couronnement  d’une existence laborieuse, avant le retour au pays, souvent inéluctable.

Les porteurs d’eau dans l'art
Le sujet des porteurs d’eau a été très souvent utilisé, en voici quelques exemples :

Le porteur d’eau et les deux jarres. Un conte indien

Un porteur d’eau possédait deux grandes jarres, chacune d’elles fixée aux extrémités d’un solide joug de bois qu’il portait sur ses épaules.

L’une des jarres était fêlée, tandis que l’autre était parfaite, et livrait toujours son plein d’eau.
A la fin de la longue marche depuis le ruisseau jusqu’à la maison, la jarre fêlée arrivait toujours à moitié pleine. Tout se passa ainsi, jour après jour, pendant deux années entières où le porteur d’eau livrait seulement une jarre et demi d’eau à la maison.
Évidemment, la jarre qui était sans faille se montrait très fière de son travail parfaitement accompli. Mais la pauvre jarre fêlée était honteuse de son imperfection, et misérable du fait qu’elle ne pouvait accomplir que la moitié de ce qu’elle était supposée faire.

Après ces deux années de ce qu’elle percevait comme une faillite totale de sa part, un jour, près du ruisseau, elle s’adressa au porteur d’eau.
« J’ai honte de moi-même, à cause de cette maudite fêlure à mon côté qui laisse fuir l’eau tout au long du parcours lors de notre retour à votre demeure »
Le porteur d’eau s’adressa alors à la jarre fêlée :
« As-tu remarqué qu’il y avait des fleurs seulement de ton côté, sur le sentier, et non sur le côté de l’autre jarre ? 
« C’est que j’ai toujours été conscient de ta fêlure, et que j’ai planté des semences de jolies fleurs seulement de ton côté sur le sentier, et chaque jour durant notre retour, tu les as arrosées. Durant ces deux années j’ai pu cueillir ces jolies fleurs pour décorer notre table. Si tu n’avais pas été comme tu l’es, nous n’aurions jamais eu cette beauté qui a égayé notre maison »

Chacun de nous avons nos imperfections. Nous sommes tous des jarres fêlées. Mais ce sont les failles et les fêlures que nous avons chacun de nous, qui rendent notre vie commune plus intéressante et gratifiante. On doit accepter chaque personne pour ce qu’elle est, et percevoir ce qu’il y a de bon en elle.

Pour en savoir plus

▶ Les porteurs d’eau parisiens en 1842 –« L’eau », 44ème année, n° 3, Mars 1957, pp. 53 – 56.

▶ Joseph Mainzer – Le porteur d’eau, dans « Les Français peints par eux-mêmes », Vol. 4, Paris 1841, pp. 226-227

▶ Marie-Odile Mergnac et collab. Les métiers d’autrefois  Editions Archives et culture : « Le porteur d’eau ».

▶ F. Klein – Métiers disparus – Editions G.M. Perrin, 1968, pp. 155-156 : Les porteurs d’eau.