Claude Gaspard Bachet de Méziriac est né le 9 octobre 1581 à Bourg-en-Bresse, dans une famille de notables, magistrats, juristes, tous lettrés. Il fait de solides études chez les Jésuites, à Turin puis à Padoue. Il enseigne lui-même à Milan, à Côme, maîtrisant parfaitement le latin, le grec, l’italien. Revenu en France, il partage son temps entre sa résidence de Bourg-en-Bresse, et sa propriété de Jasseron ( à 7 km de Bourg, belle maison patricienne, qui existe toujours), et entretient une vaste correspondance avec les savants et les lettrés de son époque. Il voyage, à Rome, à Paris.
En dehors des » Problèmes plaisants… « , son premier ouvrage (1612), Bachet écrit, et publie souvent, de nombreuses études, poèmes, commentaires, traductions d’ouvrages en français, latin, italien. Nombre de ses manuscrits sont cependant portés disparus.
Il est élu membre de l’Académie Française lors de sa fondation en 1634, premier écrivain à faire partie des 40. Bachet est également l’auteur d’une traduction en latin de l’Arithmetica de Diophante qui parait en 1621.
Cette même année, il se marie avec Philiberte de Chabeu (et aura sept enfants).
Il est resté célèbre, et fonde sa réputation de mathématicien, doublé d’un humaniste.
Cela dit, après cette présentation sommaire du personnage, quel est l’apport de Bachet de Méziriac dans la connaissance des carrés magiques ?
En 1612 paraît donc la première édition des « Problèmes plaisans et délectables qui se font par les nombres. Partie recueillie de divers autheurs, et inventez de nouveau avec leur démonstration, par Claude Gaspard Bachet, Sr de Méziriac. Très utile pour toutes sortes de personnes curieuses, qui se servent d’arithmétique« . A Lyon, chez Pierre Rigaud – MDCXII » (172 pages). La seconde édition (1624), « revue, corrigée et augmentée de plusieurs propositions et de plusieurs problèmes, par le mesme Autheur », comprend 248 pages.
Sans aucun doute, Bachet n’est pas un précurseur dans le genre ; il y a des antécédents en matière de jeux et curiosités mathématiques. Notre auteur s’est peut-être inspiré directement d’un manuscrit de Lucas Pacioli (1445-1514), existant à la Bibliothèque de Bologne : » De Viribus Quantitatis « . Il a puisé dans d’autres sources antérieures, et l’annonce lui-même.
En ce qui concerne les Carrés magiques, question qui nous intéresse plus directement, Bachet de Méziriac n’est pas non plus un précurseur ; Lucas Pacioli aborde ce thème dans le manuscrit de Bologne. D’ailleurs Bachet déclare lui-même : « J’ai vu en plusieurs autheurs, disposés en cette sorte tous les nombres depuis l’unité jusques aux sept carrés consécutifs commençant à 9, 16, 25, 37, 49, 64, 81. Mais la règle pour les disposer ainsi, je ne lai trouvé en aucun autheur ». Bachet connaît l’ouvrage de Cardan, « Practica arithmetica » (1539), qui est cité dans « Diophante » : Cardan donne effectivement sept carrés magiques – les sept carrés des sceaux planétaires- sans préciser leur mode de construction. Il en est de même pour Agrippa de Nettesheim. Quant aux travaux de Michael Stifel (1544), Bachet ne les cite jamais, pas plus que les auteurs orientaux.
Par sa méthode dite des « terrasses » ou des « redans », Bachet de Méziriac a su tirer une règle générale d’exemples particuliers. Le mérite est peut-être moindre que de l’inventer de toute pièce ; il n’en existe pas moins ; et sa méthode de construction des carrés magiques d’ordre impair est restée incontournable dans toute approche des carrés magiques. Il n’est pas un ouvrage qui ne la cite. Ainsi peut-on considérer le jugement de Pierre de Fermat, que l’on trouve en post-scriptum dans une lettre adressée au Père Marin Mersenne le 1er avril 1640, comme relativement injuste : « Depuis ma lettre écrite, un de mes vieux papiers m’est tombé en main, lequel contient une observation sur le problème XXI de Bachet… Voici l’endroit : il propose de ranger en quarré les nombres consécutifs en progression arithmétique, en sorte que tous les rangs, tant de haut, de bas que des côtés et par diamètres, fassent une même somme, de quoi il baille une règle générale pour les quarrés impairs, et avoue n’en avoir pu trouver aucune pour les pairs, mais avoir fait seulement plusieurs observations particulières, par le moyen desquelles il a rangé les pairs jusques à 14. Or, pour la règle des quarrés impairs, je dis premièrement qu’elle n’est pas de son invention, car elle est dans » l’Arithmétique » de Cardan ; mais d’ailleurs elle ne résout la question que d’une seule façon, qui le peut être en plusieurs. Je dis donc… que la règle des pairement impairs n’est pas différente de celle des pairement pairs, mais bien la même, quoique Bachet ait cru qu’elles doivent être différentes «
Bien sûr Bachet de Méziriac n’a pas le génie mathématique de Pierre de Fermat ; cependant le jugement de ce dernier n’est pas équitable. Bachet ne peut avoir copié sa méthode chez Cardan, puisque ce dernier n’en dit rien ; l’accusation va trop loin.
Rappelons que l’édition des « Problèmes plaisants… « , « revue, simplifiée et augmentée » par A. Labosne, Paris 1876, 1879 (rééditée récemment par les Editions Albert Blanchard, Paris), si elle complète la seconde édition de Bachet de Méziriac, en ce qui concerne notamment les carrés magiques, fait l’impasse sur toute une partie mathématique théorique, sans doute dépassée, mais que l’auteur considérait certainement comme essentielle.
Précisons que c’est à Bachet de Méziriac que revient également la paternité, entre autres, du théorème qui devrait porter uniquement son nom : « Tout nombre est ou bien un carré, ou bien composé de deux, trois ou quatre carrés ». Par ailleurs Bachet est l’auteur d’une méthode de résolution des équations indéterminées du premier degré (équations diophantiennes, en nombres entiers).
Bachet de Méziriac est sans aucun doute injustement tombé dans l’oubli. L’humaniste dépasse et étouffe quelque peu le mathématicien, ce dernier restant aux dires des spécialistes, aux origines d’un secteur des mathématiques de diffusion restreinte, la Théorie des nombres.