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Les crues et les inondations de l’Ill

Notre propos n’est pas de décrire le cours de l’Ill, ni d’étudier son régime hydrologique, ni la propagation des crues  de façon détaillée: ces dernières études sont relativement nombreuses.

Nous  nous proposons simplement de rappeler de façon chronologique les crues et les inondations de « la rivière d’Alsace » et de ses affluents, au point de vue historique, voire anecdotique. Ce qui ne nous empêchera pas d’en tirer quelques conclusions générales.

Il faut cependant bien différencier crue et inondation. Les crues résultent d’éléments incontrôlables, essentiellement les pluies et la fonte des neiges. L’homme est impuissant envers ces phénomènes. On a accusé le déboisement des forêts de favoriser les crues ; ces déboisements  sont maintenant contrôlés et cette accusation n’est plus actuelle. Dans ce domaine, tout ce que l’homme peut valablement faire, c’est chercher à prévoir les crues : tous les grands fleuves possèdent un « Service d’annonce des crues », permettant aux riverains de  prendre leurs dispositions quant à la montée des eaux, lorsque faire se peut.

Tandis que les inondations, c’est-à-dire les conséquences des débordements d’un cours d’eau, l’épanouissement des eaux de crue sur les terres dites inondables, peuvent être l’objet de travaux d’endiguements, de création de bassins d’accumulation des eaux, permettant d’atténuer, de limiter, et parfois de supprimer ces inondations et les dommages inhérents à ces débordements. De tous temps l’homme a tenté de se protéger contre les inondations, avec des  résultats plus ou moins concluants.

Les textes sont nombreux. Les anciennes chroniques gardent le souvenir des crues et des inondations mémorables, soit de façon générale pour toute une contrée donnée, soit de façon particulière pour une rivière ou un fleuve déterminé.

 Voir la CHRONOLOGIE Les crues et les inondations de l’Ill : Chronologie de l’antiquité à l’époque actuelle 

En analysant cette compilation chronologique, sans doute incomplète, et bien sûr inachevée dans le temps, intéressant les crues et des inondations de l’Ill et de ses affluents au cours des âges, on a la  réelle impression que celles-ci peuvent se produire n’importe quand, en toutes saisons, au fil des années, avec une rare violence !

On peut cependant en déduire quelques observations générales.

Précisons tout d’abord que l’Ill, qui prend sa source au flanc Nord du Glaserberg à Winkel, à une altitude de 600 m, se jette dans le Rhin à l’aval de  la chute de Gambsheim ( altitude 129 m ), après un parcours de 223 km ; sa pente générale est donc  très faible. Son bassin versant est de 4.765 km2, dont 26.000 ha inondables.

Il n’en a pas toujours été ainsi. En même temps que le Rhin, ou une branche principale du fleuve,  se détourne progressivement de son exutoire méditerranéen, aux  temps géologiques, l’Ill s’oriente vers le Nord. Son confluent  avec le fleuve se déplace peu à peu, sous l’action des bourrelets sédimentaires latéraux créés par les crues et formant barrage, en plusieurs étapes, vers le Nord, jusqu’à couler parallèlement à son puissant voisin, et présenter son cours actuel.

Rappelons que dans le cadre de la réalisation de la Chute de Gambsheim, le confluent de l’Ill et du Rhin a été reporté à l’aval du canal de restitution de la chute ; le cours  de la  rivière a été  ainsi  prolongé de  quelque 5 km depuis son débouché antérieur à la Wantzenau, et rejoint maintenant le Rhin sur le territoire de la Commune d’Offendorf ( 1974 )

Les hydrologues nous disent que le régime des eaux de l’Ill est de « type pluvial-océanique », avec des hautes eaux en hiver ( maximum en février ), et des étiages en été ou en fin de l’été.
Statistiquement, les crues et les inondations de l’Ill qui en sont les conséquences, se produisent le plus souvent en janvier et en février, mais elles ont de fortes probabilités d’apparition durant tout le semestre froid, de novembre à avril. Elles sont peu probables de mai à octobre, sauf exception ( mai 1983 par exemple )

La genèse des crues et des inondations de l’Ill est donc très complexe ; on distingue cependant :

▶ Les crues pluviales : elles ont pour origine des précipitations exceptionnelles principalement sur le massif vosgien ; exemples, les crues de janvier 1955 et mai 1983.
▶ Les crues pluvio-nivales : elles résultent de la  simultanéité de  fortes averses, et de  la fonte d’une épaisse couche de neige à la suite d’un redoux soudain ; ce sont les crues les plus catastrophiques ; exemples, les crues de  décembre 1919, décembre 1947 et février 1958.
▶ Les crues nivales, qui sont relativement rares : elles résultent de la présence d’une épaisse couche de neige sur une grande étendue et d’une fonte brutale à la  suite d’un  « coup de foehn » : exemples, les crues de janvier 1968 et février 1978.

Il faut signaler une autre cause d’inondations résultant de  la remontée de  la nappe phréatique dans les zones où elle affleure le niveau du sol, entre Colmar et Sélestat, par exemple.

Enfin, à Strasbourg même, il faut aussi retenir, que les crues du Rhin ont des conséquences directes sur les hautes eaux de l’Ill dans la traversée urbaine : en effet la surélévation du  plan d’eau du fleuve forme barrage au droit du confluent de l’Ill à la Wantzenau, et s’oppose à l’écoulement naturel du débit de la rivière, créant un remous, dont les eaux refoulent, et grossissent, sans qu’il y ait à proprement parler une crue de l’Ill elle-même. Mais les effets de ce phénomène sont analogues à ceux d’une  vraie crue de la rivière.  C’est dans cette perspective que nous avons mentionné les grandes crues du Rhin,  qui intéressent implicitement  les inondations de l’Ill à Strasbourg.

Cet état de choses disparaît en 1974, dans le cadre des travaux de la Chute de Gambsheim dont avons déjà parlés: l’ouvrage de chute dit « seuil de l’Ill », permet de réguler en principe la courbe de remous de la rivière en cas de hautes eaux du Rhin.
On peut également déterminer une catégorie de crues exceptionnelles, dite accidentelles, à la suite d’une rupture de digue ou de barrage ( Lac du Ballon en 1740 et 1778 par exemple )

Les fréquences des crues mesurées à la station Colmar-Ladhof s’établissent ainsi, d’après J. Humbert et G. Maire (Encyclopédie de l’Alsace, vol. 7, 1984 : l’Ill ) :

Période de retour2 ans5 ans10 ans50 ans100 ans
Débit max m3/s150215260360430

Quel cortège de tempêtes, d’ouragans, de pluies diluviennes, de crues et d’inondations catastrophiques au cours des siècles en Alsace, dans le bassin de l’Ill en particulier ! Si l’on maîtrise tant soit peu les inondations dans certains secteurs du  cours de l’Ill et de ses affluents, il n’en est pas de même des crues, dont la fréquence reste bien aléatoire. Les prévisions météorologiques permettent souvent d’anticiper ces phénomènes, qui restent, dans les temps, notre lot de mauvais augure.  

Après les grandes étapes de la « construction » du Rhin ( Rheinstrombau ), Correction, Régularisation et Canalisation, l’écrêtement des crues du fleuve fait l’objet d’un vaste programme international de mesures diverses, dont la mise en place de « polders » inondables à volonté ; les polders de la Moder ( 1992 ) et d’Erstein ( 2004 ) sont opérationnels  en rive française.

Diverses communes riveraines de l’Ill ont mis sur pied un « Plan de prévention des risques d’inondation » (PPRI ), tandis qu’un « Schéma directeur de Prévision des crues du Bassin Rhin-Meuse » a été approuvé en 2005.

Un canal de dérivation entre l’Ill et le Canal du Rhône au Rhin ( bief 39-41 ) est projeté à Mulhouse, dans le cadre du programme global d’écrêtement des crues de l’Ill, porté par le Conseil Général du Haut-Rhin : un débit de 30m3/s permettrait ainsi d’éponger le trop-plein de crue de la rivière.

La tempête « Xynthia » du 28 février 2010,  ne fut pas accompagnée d’inondations en Alsace ; celles-ci furent particulièrement dévastatrices en Vendée .

Encore récemment, en février 2021, entre la pluie et la fonte des neiges, la crue de l’Ill a submergé une partie de l’Alsace Centrale. Voir le diaporama du journal L’Alsace

Le village d’Illhaeusern est particulièrement surveillé en période d’inondation, car il se trouve au confluent de deux rivières : l’Ill et la Fecht. (Photo L’Alsace)

Certes les inondations participent pleinement à l’équilibre du milieu naturel, relativement complexe, et si leur limitation est nécessaire, d’aucuns pensent  que leur disparition ne serait pas opportune ; mais ce n’est sans doute pas l’avis des riverains qui ont trop souvent les pieds dans l’eau !

 Voir la CHRONOLOGIE Les crues et les inondations de l’Ill : Chronologie de l’antiquité à l’époque actuelle 

Pour en savoir plus

▶ Illwickersheim – Evaluation des dommages causés par les inondations – 1760 – AMS – VI 229/10

▶ Réduction des dîmes pour cause d’inondation du ban d’Illwickersheim – AMS – VI 229/6.

▶ Das Wasserwerk der Stadt Mulhausen – Geschichtliches Beschreibung, Pläne … 1886.

▶ Die Überschwemmungen des Rheins und der Ill im september 1852 – Colmar 1853, 47ss.

▶ Die Überschwemmung im Rheingau – 1876 ( Intéresse aussi l’Alsace )

▶ A Bauche – L’Ill en amont de Mulhouse. Etude de l’influence des champs d’inondation sur la propagation des crues – Diplôme Enitr Strasbourg, 1975.

▶ BCEOM – Etude économique des inondations dans le bassin de l’Ill – 2 vol. 125 & 33 pp. + Annexes, 1973.

▶ D. Fernandopulle – Etude des crues de l’Ill en amont de Strasbourg – Génie rural Colmar, 51 pp. 1962.

▶ P. Fontaine – Les crues dans le N-E de la France ( Bassin de l’Ill )- Causes météorologiques établissant des situations types – La Météorologie ( 43 )-15/33, 1958.

▶ GREF – Modèle mathématique de la propagation des crues de l’Ill – Ministère de l’Agriculture,2 vol. 1973.

▶ J. Herbaud – Etude des affluents alsaciens du Rhin – ORSTOM – Ministère de l’Agriculture, Paris 3 vol. 1970.

▶ J. Migayrou – Les zones inondables dans la plaine lled’Alsace – Bulletin de la Société Industrielle de Mulhouse (4) ; 157-161, 1974.

▶ J.P. Rothe et J.  Jung – Les inondations de déc. 1947-Jan. 1948 dans la Basse Alsace – Ministère de l’Agricul-ture – Génie Rural, 48 pp. 1952.

▶ B. Nolin – La haute vallée de l’Ill – Etude hydrologique – Thèse 3ème cycle, Paris, 121 pp. 1963.

▶ SOGREAH – Etude de la propagation des crues de l’Ill. Doc. R. 10000 – 1969.

▶ H. Baulig – Les inondations de décembre 1947. Annales de l’Institut de Physique du Globe, Strasbourg,

t. V, 3ème partie, 12 pp.

▶ H. Habig – La réparation des dégâts d’inondation causés par la Fecht par la crue de janvier 1955. Génie rural Colmar 25 pp, 1959.

▶ F. Marty-Mahé – L’Ill : rapport sur la rivière et programme des aménagements souhaitables – Dipl. Enitr- Strasbourg, DDA Bas – Rhin, 2 vol. 114 & 91 pp – 1979.

▶ F. Moser – Préétude d’environnement des zones inon-dables de l’Ill ; Secteur Colmar/Erstein – Dipl. Ing. Evry 121 pp + annexes, 1981.

▶ J.P. Rothe – Causes météorologiques des inondations de février 1947 dans le N-E de la France – Annales de géographie ( LVII ) 205-212, 1948.

▶ C. Dubant – Etude hydrologique de la Vallée de la Thur – Thèse 3ème cycle, Besançon, 1970, 215 pp.

▶ J.C. Scherer – Unité et diversité des cours d’eau alsaciens, d’après l’étude de leur régime moyen – Revue de géographie de l’Est, 1978, pp. 229-240.

▶ Raphaël Nassif – Modélisation hydraulique des crues de l’Ill/ méthodologie de prévention des risques d’inondation – Application entre Mulhouse et Illhaeusern – Université Louis Pasteur – 2005.

▶ Takatet Naima – Fonctionnement biochimique d’une zone alluviale inondable dans le champ d’inondation de l’Ill. Université de  Strasbourg  I – Thèse 1999, 193pp.

▶ B. Ramey – Conditions d’écoulement de l’Ill en basses eaux – Secteur Mulhouse-Colmar ; Détermination des tronçons homogènes – Etablissement Public Régional – Centre de géographie appliquée – Strasbourg, 47 pp. 1979.