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Les carrés magiques : Introduction

Le carré est l’un des quatre symboles fondamentaux avec le cercle, le centre et la croix. Tandis que le cercle symbolise le mouvement, la dynamique, au carré sont associés l’arrêt, la stabilité, la statique.

Le carré est aussi le symbole de la matière terrestre, du corps et de la réalité, tandis que le cercle est le symbole de la psyché : Platon lui-même décrit la psyché comme une sphère.
Pour les Pythagoriciens, d’après Plutarque, le carré réunit la puissance et la grâce de Rhéa, Aphrodite, Déméter, Hestia et Héra :  » le carré signifie que Rhéa la mère des dieux, la source de la durée, se manifeste par des modifications des quatre éléments, symbolisés par Aphrodite qui est l’eau génératrice, par Hesta qui est le feu, par Déméter qui est la terre et par Héra qui est l’air  » (Mario Meunier). Le carré symbolise donc la synthèse des éléments.

Nombre de villes et de monuments sont bâtis sur un plan carré, à commencer par la Jérusalem Céleste du Livre de l’Apocalypse, et tels que la Cour carrée de la Mosquée du Prophète à Médine, la place publique d’Athène, la base carrée de la Pyramide de Kukulcan à Chichèn Itza, le temple de Borobudur à Java ou celui du Ciel à Pékin, ou encore celui d’Angkor Vat au Cambodge. Les villes et les camps militaires romains sont implantés sur plan carré, divisé en quatre quartiers par les voies cardinales orthogonales. Alors que les camps et les tentes des peuples nomades, non sédentarisés, sont ronds. Des villes sur plan carré sont bâties au Moyen Âge : Ste Foy, Montpazier…

Angkor Vat (Cambodge)
Borobudur (Java)
Kukulcan (Chichèn Itza, Mexique)

Les églises présentant une emprise carrée, sont nombreuses : la Cathédrale d’Oxford, l’église de Ramsey en Grande Bretagne ; les églises de Fontenay, Pontigny, Noirlac, Laon en France. Ces églises carrées sont la plupart du temps d’origine cistercienne.

Le carré revêt une signification symbolique dans la plupart des religions. Le carré est présent en particulier dans les traditions de l’Islam, ainsi que dans les traditions chrétiennes par la croix, à laquelle le carré est intimement associé.

Aux environs de l’an mille, les alchimistes ont joué un rôle particulièrement important. Ils ont exalté les mystères de la matière, le but de leur recherche embrassait à la fois l’esprit et le corps, et ils inventèrent quantités de mots et de symboles pour les représenter. Un de leurs symboles principaux était, avec le cercle, la « quadratura circuli », la quadrature du cercle, qui n’est autre qu’un mandala.

Il est important de remarquer que le carré, ou les groupes de carrés, apparaissent très tôt dans l’art, tout aussi fréquemment que le cercle. Et l’art moderne a pérennisé cette tradition, le maître des compositions harmonieuses de carrés étant sans conteste le hollandais Piet Mondrian (1872-1944).

Les  » carrés magiques  » dont nous allons nous occuper essentiellement s’apparentent aux nombres carrés.
Il s’agit, pour les carrés magiques additifs dits  » normaux « , de placer dans une grille carrée de n2 cases, – grille que d’aucuns appellent un  » casier  » -, les n2 premiers nombres entiers consécutifs, sans lacune ni répétition, de façon à obtenir dans les lignes horizontales, les colonnes verticales, et aussi dans les deux diagonales principales, des sommes égales, cette somme commune étant dite la  » constante magique  » du carré magique additif considéré, appelée aussi  » somme linéaire magique « .
Un carré est dit  » semi-magique  » lorsque seuls les nombres des lignes et des colonnes présentent la même somme constante.

La gravure ‘La Melencolia’ d’Albrecht Dürer (datée de 1514) comporte de nombreux éléments symboliques, dont un carré magique, de constante magique égale à 34.
Les sommes de chaque ligne, de chaque colonne ainsi que des diagonales sont toutes égales à cette constante.

Voir la description détaillée ainsi que sa Construction

Melencolia d’Albrecht Dürer
Sagrada Familia à Barcelone
Voir article détaillé

Villa Albani à Rome
de constante magique = 369

Certains auteurs font débuter la suite des entiers par zéro, soit 0, 1, 2, 3… (n2-1), comme par exemple le Général Cazalas (1934), Kathleen Ollerenshaw (1998). Les propriétés de ces carrés restent, mutatis mutandis, les mêmes. Cependant certaines méthodes de construction des carrés magiques se trouvent simplifiées ; nous en donnerons quelques exemples.
 » L’ordre « , ou la  » dimension « , ou encore  » la taille  » d’un carré magique, correspond au nombre n de cases par côté de la grille: c’est en somme la racine carrée du nombre total de cases de la grille ou du casier considéré.
De grands mathématiciens de renommée mondiale, tels que Pierre de Fermat (1601-1665), Leonhard Euler (1707-1783), Karl Friedrich Gauss (1777-1855), Edouard Lucas (1842-1891)… n’ont pas dédaigné l’étude des carrés magiques.

Pierre de Fermat
Leonhard Euler
Karl Friedrich Gaus
Edouard Lucas
Blaise Pascal

Blaise Pascal (1623-1662) a également écrit un Traité des carrés magiques, « Traité des nombres magiquement magiques », qu’il a adressé en 1654 à l’Académie des Sciences : il s’agissait de carrés à enceintes. C’est vraisemblablement ce Traité qui a été inséré par Antoine Arnault en Annexe de ses « Nouveaux éléments de Géométrie », publiés à Paris en 1667 (cf. Jacques Darriulat – 1994).

Les carrés magiques sont apparus très anciennement en Orient, aux Indes, et notamment en Chine, au cours des premiers siècles de notre ère, pour les carrés magiques d’ordre petit . Mais pour les ordres plus grands, les méthodes générales de construction semblent avoir pris naissance en Perse, dès le IXème siècle : on trouve des carrés magiques d’ordre n = 8, sans doute provenant de problème intéressant le jeu des échecs, qui serait lui-même originaire des Indes au VIIIème siècle.
On connaît un Traité des Carrés Magiques, ou « Arrangement harmonieux des nombres », rédigé en arabe, datant du XIe siècle (cf. Jacques Sésiano – 1996).

Les Carrés magiques n’auraient été introduits en Europe qu’au début du XVe siècle, notamment par Manuel Moschopoulos. Mais ils étaient sans doute connus de façon empirique – non mathématique – par les « magiciens » et alchimistes des siècles antérieurs, sous forme d’amulette ou de talisman.
Nul ne saura sans doute jamais par quels individus le concept de carré magique est passé de la Chine à la Grèce, aux Indes et à l’Islam, puis à l’Occident, mais on ne peut que constater le fait singulier qu’une idée sans aucune importance ni utilité économique ou militaire, a pu se jouer des barrières entre les empires, les peuples, les langues et les frontières, et se transmettre à travers le temps, en s’enrichissant constamment, jusqu’à notre époque  » (Michel Criton, Les jeux mathématiques, PUF 1997)
Cependant si ce circuit  » Chine-Grèce-Indes-Islam  » est admis par la plupart des auteurs,  » il apparaît maintenant, que ce chemin fut suivi en sens inverse, et que la science des carrés magiques était déjà solidement établie dans le monde arabe vers l’an mille  » (Jacques Sésiano, 1996)